Habiter comme Hulot

MON ONCLE 1958 Jacques Tati

THE FRENCH DISPATCH 2022 Wes Anderson

« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? »

Cette maxime des « Shadoks » aurait pu guider Jacques Tati, quand il imagine l’accès compliqué et illogique du logement de M. Hulot dans son film « Mon Oncle ».

Tati élabore cette architecture avec l’aide d’un jeune novice, qui va lui-même devenir un des grands comiques du cinéma français : Pierre Etaix. Embauché comme gagman lors de la préparation du film, il est ensuite assistant réalisateur pendant le tournage.

« Mon Oncle » est la deuxième apparition du personnage de M. Hulot (après « Les Vacances de M. Hulot », 1953) et cette fois-ci on découvre son « chez lui » pittoresque. Si le sujet du nouveau film de Tati est centré sur la villa Arpel, demeure ultra-moderne qu’habitent la sœur de Hulot et son mari, l’immeuble rustique où loge notre héros en est manifestement l’antithèse.

Le petit immeuble ressemble à son locataire, hurluberlu et rêveur. Son logement se trouve au dernier niveau d’une petite bâtisse, composée d’imbrications et d’extensions successives, sans vision globale, ni considération esthétique. Et pourtant, c’est justement ce chaos formel qui va faire tout son charme et son intérêt dans le film.

Suite aux indications assez vagues de Tati, qui souhaite suivre Hulot à travers un parcours complexe dans un manoir avec tourelle, Pierre Etaix produit d’innombrables dessins préparatoires. Francis Ramirez et Christian Rolot1 ont recensé 96 croquis, rien que pour cette seule séquence, qui ne dure qu’une minute dans le film !

A travers fenêtres, ouvertures ou autres passages étroits, Etaix décrit le cheminement improbable, fractionné, d’un Hulot qui apparaît par morceaux dans le trajet fastidieux vers son logement.

Infatigable marcheur, Etaix arpente également les quartiers de Paris et s’inspire des détails curieux qu’il découvre sur son passage. Quand le lieu de tournage est choisi (le décor sera construit en bordure de la Place d’Armes à Saint-Maur-des-Fossés, dans la proche banlieue Sud-Est de Paris), il combine l’architecture locale, constituée d’immeubles petit-bourgeois de la fin du XIXe siècle, avec des détails architecturaux glanés dans le quartier de Montparnasse, notamment.

Comme à son habitude, Tati refuse de faire des plans rapprochés et filme le décor dans son intégralité et avec un plan-séquence en continu.

La vue d’ensemble exige du spectateur un niveau élevé d’attention pour ne manquer aucune des douze apparitions de Hulot pendant son parcours à travers la maison.

Wes Anderson rend hommage à cette scène en 2021, quand il situe « The French Dispatch » dans la ville imaginaire d’Ennui-sur-Blasé : le garçon qui apporte café et soft drinks à la rédaction du French Dispatch doit également accomplir un parcours loufoque et biscornu pour l’atteindre …

Dans les deux cas, le désordre constructif, l’illogisme et l’incongruité du bâti ajoute quelque chose de nouveau : un parcours plus beau, plus riche de surprises et plus intense qu’un cheminement rationalisé ne pourrait l’offrir.

Si cette vision d’un mode de vie d’antan est effectivement imprégnée d’une certaine nostalgie et du pittoresque, elle a au moins le mérite de créer quelque chose de nouveau : de la poésie dans le déplacement.

Tati insiste sur la proximité bienveillante du voisinage (idéalisée, mais néanmoins souhaitable), sorte de rêve de vie paisible en communauté, où taper du balai au plafond ne signale pas la plainte d’un voisin trop bruyant, mais l’arrivée d’un colis !

Tati choisit de ne pas montrer l’intérieur du logement. Son sujet est l’interaction d’Hulot avec son environnement, qui s’accommode bien d’une architecture « mal foutue », parce qu’elle invite aux rencontres et aux surprises. Ainsi, il inclut un autre gag imaginé et dessiné par Etaix : l’inclinaison de la fenêtre projette les rayons du soleil sur la cage d’un oiseau qui, ravi par la lumière, commence à chanter.

Une architecture lumineuse ! (Qui pourtant ne prétend pas l’être…)

1 RAMIREZ Francis et ROLOT Christian, Etaix dessine Tati, Paris, ACR, 2007

MON ONCLE 1958 Jacques Tati

THE FRENCH DISPATCH 2021 Wes Anderson

2 réflexions sur “Habiter comme Hulot

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