HELL IS A CITY (Un homme pour le bagne) 1960 Val Guest
Le réalisateur britannique Val Guest tourne, dans les années cinquante, Le Monstre (The Quatermass Xperiment, 1955) et La Marque (Quatermass 2, 1957), deux films qui combinent efficacement science-fiction et horreur dans une approche quasi documentaire. Ce sont les premiers succès de la Hammer Film, qui se spécialise par la suite dans l’horreur, avec les premières versions en couleur des grands mythes d’épouvante du cinéma, comme Dracula, Frankenstein, la Momie, et bien d’autres.

Val Guest tourne entre 1955 et 1964 quatorze films pour la Hammer, parmi lesquels figure également le thriller musclé Hell is a City, un film quelque peu injustement oublié aujourd’hui, et à l’époque maladroitement intitulé pour le marché français Un homme pour le bagne.

La ville, qui représente l’enfer sur terre (selon le titre original du film), est Manchester, centre industriel, économique et sportif2 majeur du nord de l’Angleterre. Mais c’est aussi, et surtout (selon le film), une métropole du crime, bien avant de devenir aussi un centre culturel avec Granada TV et l’émergence de groupes de musiques pop comme Joy Division/New Order, The Smiths, The Happy Mondays ou encore Oasis.
1 notamment avec le Manchester United Football Club

Géant de l’industrie textile dans les années 50 et 60, Manchester est, comme beaucoup d’autres villes anglaises, composé d’un centre entouré d’un océan de maisons en briques en bandes et d’une forêt de cheminées ponctuant les nombreuses usines.

Guest tourne l’ensemble des extérieurs dans un somptueux noir et blanc au format Hammerscope, dans les rues de la ville, ce qui confère au film, rétrospectivement, une grande authenticité documentaire.

Notamment en ce qui concerne les vues du centre-ville, profondément remanié depuis les années 60, où plusieurs lieux et rues n’existent simplement plus1 — comme, par exemple, la jonction entre Cannon Street et New Brown Street (image ci-dessus)— sur laquelle on a bâti un centre commercial.
1 Une partie du centre a été détruite le 15 juin 1996 par un attentat à la bombe de l’IRA, qui a fait 200 blessés et causé des dégâts estimés à plus que 700 millions de livres sterling.

Don Starling, criminel brutal et sans scrupule, s’évade de prison en tuant un gardien. John Crawford interprète ce tueur avec une inquiétante méchanceté.

L’inspecteur Harry Martineau est convaincu que le truand s’est réfugié dans sa ville natale pour récupérer le magot d’un ancien vol. Stanley Baker incarne avec aplomb ce personnage, tiraillé entre assurance (dans son travail) et doutes (dans sa vie personnelle).

Le film se focalise sur la peur qui saisit plusieurs petits malfrats de la ville (entre autres Billie Whitelaw et Donald Pleasence ci-dessus), pris en étau entre Starling, bête féroce exploitant sans scrupules ses anciennes connaissances dans sa fuite, et un inspecteur Harry tout aussi menaçant, obsédé par l’idée de capturer le criminel.

Avant de tenter de disparaître, Starling envisage un dernier coup, qui se termine par le meurtre d’une jeune femme, abandonnée sur la A62 Manchester Road, dans les environs désolés du nord de la ville.

Car si la ville semble déjà contaminée par le crime et imprégnée d’une ambiance désolante, les alentours sont aussi montrés comme vides et désertiques – une topographie qui fait écho au vide émotionnel qui se prolonge jusqu’au foyer de Martineau.

Hell is a City est un mélange très habile de kitchen sink drama (voir aussi : Albert Finney à Notttingham) et de film noir, qui met en lumière, avec un réalisme surprenant, les vulnérabilités et les failles de l’inspecteur Harry Martineau2, chargé de l’enquête.
2 Cette approche n’est pas sans rappeler The Offence (1973), film glauque et âpre avec Sean Connery en policier désabusé et frustré — bien que Hell is a City n’aille jamais aussi loin dans la noirceur.

Si l’inspecteur est un as dans son métier, son couple bat de l’aile depuis longtemps. Entre disputes à la maison et tentations dans les bars qu’il fréquente après le service, Harry, incapable d’exprimer ses émotions reste néanmoins un homme stoïque et intègre.

La grisaille de la ville, l’uniformité des petites maisons en briques s’étendant en rangées interminables, et les nombreuses cheminées des usines fournissent un arrière-plan morose et une illustration des états d’âme du policier Martineau.

Guest nous présente un Manchester de contrastes, alternant avenues commerçantes animées et arrière-cours sordides et louches.

Une séquence marquante montre le quartier d’Oldham, dans le nord de Manchester, plus précisément Rivington Street, où des hommes se livrent à des jeux de paris illégaux, bientôt interrompus par une descente de police.


Avec une poursuite haletante sur les toits de la ville, Val Guest recourt à un dispositif classique du film policier urbain, qu’il transforme ici en un climax captivant. Toujours soucieux d’apporter un point de vue réaliste, le cinéaste souligne la dangerosité de la traque à travers un Stanley Baker peu assuré.

Cette séquence permet aussi d’apercevoir en arrière-plan la gare d’Oxford Station, édifice caractéristique, dont la forme hyperbolique et expressive détonne dans le paysage urbain.

L’une des dernières séquences montre Strangeways, l’imposante prison panoptique de Manchester, construite en 1868 par Alfred Waterhouse dans un style Gothic Revival, en forme d’étoile. Au premier plan, on voit la une d’un journal annonçant l’exécution de Starling : pas de bagne, mais la corde pour ce criminel.

Le méchant est puni, mais l’inspecteur est loin d’avoir résolu ses problèmes personnels. On le voit errer seul dans le centre de Manchester, traversant le passage commercial Lewis Arcade, rue Mosley (aujourd’hui également disparu).
Il est accosté par une jeune prostituée qui, après avoir reconnu le policier, s’éloigne rapidement : Strangeways, here we come !
HELL IS A CITY (Un homme pour le bagne) 1960 Val Guest
« Hell is a city » est le début d’un poème de Shelley, « Hell is a city much like London » qui décrit la dureté de la vie urbaine : Hell is a city much like London– A populous and a smoky city; There are all sorts of people undone, And there is little or no fun done; Small justice shown, and still less pity.
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Merci bcp d’avoir fait le lien avec le poème de Percy Shelley (que j’ignoarais) – complètement en phase avec la ville décrit dans le film (même si on passe de Londres à Manchester).
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