MIRACOLO A MILANO (Miracle à Milan) 1951 Vittorio De Sica
Après avoir inventé 1 le néoréalisme italien avec son chef-d’œuvre « Le Voleur de bicyclette » (1948), Vittorio de Sica enrobe l’approche réaliste et sociale de la vie italienne de son film suivant, dans une fable, pour atteindre un nouveau public.
1 Les trois autres « inventeurs » du néoréalisme italien sont Roberto Rossellini avec « Rome, ville ouverte » (1944), Luchino Visconti avec « Ossessione »/« Les Amants diaboliques » (1943) et « La terra trema »/« La terre tremble » (1948) ainsi que Giuseppe De Santis avec « Riz amer » (1949).


Ce conte de fées assumé (outre le titre, le premier carton avertit : « Il était une fois … »), montre une vieille dame aussi aimable que loufoque, qui trouve parmi les choux de son jardin, un bébé qui braille !

Elevé à l’écart de la société, le jeune Toto2 se confronte pour la première fois à la réalité de la ville de Milan, grise, humide et hostile, lors de la marche funèbre qu’il entame seul, pour accompagner sa mère au cimetière.
2 Le scénario a été écrit par Cesare Zavattini, figure majeur du néoréalisme italien, d’après une idée qu’il a eu avec l’acteur comique Toto.

Après un passage à l’orphelinat et devenu jeune homme, Toto, toujours aussi bon et naïf, part à la découverte du monde – dans le périmètre restreint et toujours aussi gris de Milan en hiver.

Sans domicile et sans boulot, il découvre avec émerveillement l’extérieur de La Scala, salle d’opéra de renommée internationale, dont la façade néoclassique a été construite par Giuseppe Piermarini en 1778. C’est sous ses arcades que Toto se fait dérober sa valise par un clochard.

Il le poursuit à travers les rues, qui le mènent aux faubourgs du Nord de Milan, où il passe devant le cinéma ABC, sur la viale Monza 2, …
1 Ce cinéma emblématique de la ville de Milan, à la devanture moderne et fonctionnaliste des années 20, deviendra plus tard le « Eros Sexy Center », puis sera complètement détruit par les flammes, lors d’un incendie criminel en 1983.

… puis atterrit sur un terrain vague – point de rassemblement des sans-abri de la ville.

Toto s’y installe. Sa gentillesse et son entrain contribuent à souder la communauté et à donner un semblant d’organisation à cet urbanisme sauvage, avec les moyens du bord.

Tel un maire, il attribue les logements aux nouveaux arrivants et donne des noms aux rues, installant d’abord des panneaux sur le modèle habituel (« strada Maggiore »), puis transformant ces noms en formules mathématiques (« 5 x 5 = 25 », par exemple) pour éduquer les enfants qui passent.

L’architecture précaire et légère de l’habitat est l’occasion de quelques gags, où l’on déplace sans ménagement une cabane de fortune pour dégager la vue d’une autre …

Un beau jour, le propriétaire, M. Brambi, débarque pour vendre le terrain à l’investisseur Mobbi, qui souhaite y construire des immeubles. Grâce à l’intervention de Toto, le bidonville obtient un sursis.

Lors d’une fête du campement avec chansons3 et tombola, les habitants découvrent que le terrain recèle du pétrole. Rappi, un des clochards, vend alors l’information à l’investisseur Mobbi, qui se dépêche d’envoyer ses sbires avec un avis d’expulsion.
3 « Une cabane nous suffit, pour vivre et pour dormir. Des chaussettes et du pain. »


Toto et une délégation d’habitants rendent alors visite à Mobbi, qui les accueille très courtoisement dans son bureau couvert de marbre et de statues antiques, digne d’un haut fonctionnaire fasciste. Pendant qu’on sert du thé et des gâteaux aux pauvres, des policiers partent détruire le bidonville.

Une lutte voit s’affronter policiers et sans-abri, mais grâce à l’intervention divine de la mère de Toto qui vient à la rescousse des expulsés, ils arrivent à repousser la première attaque.

Mais la magie ne fonctionne pas toujours (deux anges empêchent la mère de trop interférer dans la vie des humains !). Lors d’une deuxième intervention, les habitants du bidonville sont évacués en ville dans des paniers à salade – et passent devant le fameux et magnifique Duomo. Image annonciatrice du ciel qui va intervenir à nouveau.

En effet, sur la piazzo del Duomo, les fourgons de police s’ouvrent miraculeusement et laissent les pauvres s’échapper. Ils s’emparent des balais des balayeurs à l’œuvre par dizaine et s’envolent dans le ciel …

« Miracle à Milan » dilue ainsi la critique de la politique du logement et de la précarité qui concerne une grande partie des Italiens au début des années 50, dans la magie de la fable – sans doute le seul moyen de raconter l’expulsion des sans-abri en d’en faire un divertissement … Mais aussi une manière facile de se dégager de toute responsabilité. Pourquoi agir puisque Dieu (ou la mère devenue sainte) règlera la question dans un pays très catholique que ce discours conforte.
A sa sortie, et de manière paradoxale qui peut faire sourire aujourd’hui, certains critiques verront dans cette fin une apogée du communisme (les sans-abri s’en vont vers le paradis soviétique !)

Cette fin est-elle vraiment si heureuse ? L’image des pauvres qui vont au ciel apparaît comme une métaphore terrible pour magnifier leur disparition/extermination de manière poétique. Il est tout aussi révélateur que le titre initial du film « Les pauvres dérangent » ait été interdit par le gouvernement chrétien-démocrate mené par De Gasperi, et que la fin dut être modifiée :

« Les pauvres ne montaient pas au ciel mais, à cheval sur les balais, ils franchissaient l’océan, ils survolaient l’Argentine et au moment d’atterrir, ils lisaient un panneau sur lequel était écrit « Propriété privée ». Ils reprenaient leur vol pour l’Amérique et là aussi : « Propriété privée » et ainsi partout où ils allaient. Voilà ce qu’était le vrai final, mais ils n’ont pas voulu que je le fasse. » 4
4 Vittorio de Sica cité par Jean A. Gili dans « Le cinéma italien » 2011 La Martinière Paris p.132
Quoique inégale et naïve, la fable urbaine de Vittorio De Sica (couronnée par une Palme d’Or à Cannes) appuie là où ça fait mal. La précarité du logement et l’expulsion des sans-abri, relégués toujours plus loin des centres villes, restent d’actualité.
MIRACOLO A MILANO (Miracle à Milan) 1951 Vittorio De Sica
Merci pour ce beau commentaire. Je vous lis toujours avec plaisir, si je ne pense pas toujours à vous le dire.
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