99 Luftballons

LE BALLON ROUGE 1956 Albert Lamorisse

« Le Ballon rouge » est un court-métrage français de 35 minutes, réalisé par Albert Lamorisse dont le charme continue d’opérer aujourd’hui, bien après sa sortie en 1956 !

L’intrigue, très simple, est prétexte à savourer des vues quotidiennes du Paris d’après-guerre, sale et délabré par endroits, où la circulation et le stationnement automobile ne bouchent pas encore la vue du flâneur. Le spectateur se retrouve plongé dans les rues commerçantes, les terrains vagues, les ruelles et dédales du 19eme et du 20eme arrondissement, à la lisière de la capitale, loin des clichés touristiques.

Passage Julien Lacroix, disparu. Aujourd’hui noyé dans le parc de Belleville, 20ème.

Il suit les tribulations d’un ballon rouge qu’un petit garçon a apprivoisé, à sa grande surprise. Détaché d’un réverbère où il l’a trouvé, ce petit gars blond à croquer ne lâche plus son compagnon.

Arrêt de bus Pyrénées-Ménilmontant, au 121 rue de Ménilmontant (20ème).

Le film les accompagne, de la maison à l’école, le ballon au bout de son fil tout d’abord, puis volant librement en suivant le bus à plateforme jusqu’à la cour de l’école et à la salle de classe, avec la fidélité d’un ami infatigable. Le chemin recommence tous les jours, inlassablement.

S’y inscrit une relation qui se renouvelle sans cesse, évolue et étonne par des détails presque insignifiants : on se suit et on se perd, on s’inquiète de ne pas se retrouver. Le ballon incarne parfaitement l’ami imaginaire si souvent décrit à cet âge.

On sait très peu de chose sur cet enfant dont le prénom n’est prononcé qu’une seule fois par la gardienne de l’école (Pascal, le fils d’Albert Lamorisse). Il vit avec sa grand-mère, on ne lui connaît pas d’autres parents.

15 rue du Transvaal, 20ème. Le ballon, chassé par la grand-mère, attend devant la fenêtre de l’immeuble de Pascal.

Comme dans d’autres films de Lamorisse sur l’enfance (« Bim, le petit âne » 1950, « Crin-Blanc » 1953), les adultes lui sont indifférents ou hostiles, vêtus de couleurs sombres, quand les vêtements étaient taillés pour durer : sécheresse de la grand-mère qui jette le ballon par la fenêtre, rejet du receveur de bus qui refuse l’accès au ballon, brèves silhouettes de passants qui bousculent l’enfant, sévérité des enseignants…

Une seule séquence montre des adultes prévenants aidant notre jeune ami à abriter le ballon rouge de la pluie, de parapluie en parapluie : homme boiteux à la chaussure rehaussée, religieuses gracieuses, simple passant sur le pont des Arts. Si le reste du film a été méticuleusement préparé, la pluie incite Lamorisse à improviser ces scènes : son fils Pascal demande alors au hasard à des passants d’abriter le ballon pendant leur trajet.

Cette séquence pousse jusqu’à la Seine et même jusqu’aux 5eme et 14eme arrondissements et s’éloigne du quartier de Ménilmontant et de Belleville 1 où se déroule le reste de l’action, enlevant toute vraisemblance au trajet école-maison pourtant fait et refait.

Le réalisateur tord un peu plus la géographie de Paris pour filmer les voies de chemin de fer dans le 17eme ou encore la bibliothèque Sainte-Geneviève du 5eme où se rencontrent deux professeurs. C’est un Paris recomposé et imaginaire qui s’offre à nos yeux, comme dans un conte ! On appréciera ainsi la liberté laissée à Pascal qui circule librement dans Paris malgré son jeune âge. Il semble aussi libre et insouciant que son ballon1.

1. Lire à ce sujet le blog plateauhassard.blogspot.com qui décrit par le menu le trajet du ballon.

Le rêve s’efface vite cependant, car bientôt le ballon suscite la désapprobation des adultes, la jalousie des camarades, et les embûches s’accumulent pour tenter de séparer les deux amis.

Un peu de douceur s’incarne à travers le bleu du ballon d’une petite fille (jouée par la sœur du héros dans la vraie vie, Sabine) croisée un instant. Ballons rouge et ballon bleu commencent à se fréquenter…  L’un se sauve, jusqu’à être ramené par le petit garçon qui, chevaleresque, rend son ballon à la petite fille et continue son chemin. Nul ne doit troubler leur amitié exclusive !

On notera vers la fin du film, la présence de jumeaux aux ballons bleus également, habillés en rouge, dont l’un deviendra le chanteur Renaud, neveu d’Edmond Séchan, chef opérateur du film.

A Belleville, le rouge du ballon agit comme une tache vive dans la ville grise et bleutée : Paris minéral tout de pierre bâti, reflets de pluie sur les pavés, ruelles étroites en contre-jour, escaliers raides et découpés, terrains vagues encore à l’abandon, silhouettes noires enlevées des enfants qui courent à l’assaut du ballon.

Rouge de la vie, de l’amour aussi, du sang versé à la fin… car sous des abords tendres et doux, se révèle aussi la cruauté des hommes, à l’œuvre dès l’enfance, entre rivaux.

Les recherches et le travail sur la couleur sont extrêmement précis et comparables aux gammes très élaborées de Jacques Tati pour « Mon Oncle » et « Playtime ». Pour renforcer la luminosité du ballon rouge, un deuxième ballon orange a été niché à l’intérieur du premier et environ 25 000 ballons (!) ont été nécessaire pour tourner le film.

Dans ce film tourné uniquement en extérieur – les quelques scènes prises de l’intérieur montrent toujours le ballon saluant à la fenêtre – Lamorisse use de plans séquence qui accompagnent avec naturel et fluidité les déplacements du ballon.

Comme un enfant, le sectateur se surprendra à chercher les ficelles qui actionnent tout cela. Mais il ne trouvera rien, et ce sera un délice de constater que les trucages les plus simples… sont souvent les plus réussis !

Merci à Florence Vandermarlière qui a réalisé les cartes qui retracent le voyage du ballon à Paris et pour sa précieuse contribution au texte ; merci également à David Cairns et son texte « Head in the Clouds » qui fournit des informations rares sur l’œuvre d’Albert Lamorisse.

LE BALLON ROUGE 1956 Albert Lamorisse

Une réflexion sur “99 Luftballons

  1. Belle histoire.
    A noter que plus de 50 ans après cette version, Hou Hsiao-hsien fera « le voyage du ballon rouge » un film de près de 2 heures inspiré du court métrage, avec J Binoche et H Girardot.

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