Antonio Lopez Garcia à Madrid

EL SOL DEL MEMBRILLO (Le Songe de la Lumière) 1992 Victor Erice

Très remarqué pour son excellent premier film « L’Esprit de la ruche » de 1973, et puis un peu oublié par le public par la suite, Victor Erice tourne seulement deux autres longs-métrages : « Le Sud » (1983) et « Le Songe de la lumière » (1992). Il fait ainsi un parcours sans faute avec un chef-d’œuvre tous les 10 ans !

Son troisième film, « Le Songe de la lumière », oscille entre documentaire et fiction : Erice filme le peintre et sculpteur Antonio Lopez Garcia, à Madrid, en train de peindre un cognassier dans sa cour. On aperçoit sa famille, des amis de passage (parmi lesquels le peintre Enrique Gran) ; on suit le travail d’ouvriers polonais en train de rénover sa maison… Mais Erice s’intéresse surtout au geste du peintre et à son processus de création artistique.

Partant de cette intrigue plutôt mince, le réalisateur mène une captivante réflexion sur le temps, le pouvoir changeant de la lumière et la fragilité de ce qui est beau. La caméra ne quitte presque jamais la cour et s’attache à suivre de près l’avancement de l’œuvre – ou plutôt des œuvres – puisque Lopez va reprendre plusieurs fois son sujet.

Au bout d’une vingtaine de minutes, la caméra pivote lentement vers le haut dans un travelling vertical pour dévoiler, d’abord l’immeuble clôturant la cour sur le côté Nord, puis pour montrer successivement l’ensemble du quartier qui entoure la maison du peintre.

Deux plans fixes guident le regard vers une percée tout à fait quelconque, entre des immeubles qui donnent sur une voie de chemin de fer.

Deux autres plans fixes s’attardent alors sur des petites bicoques incongrues, écrasées par des immeubles des années soixante-dix, situés à l’arrière-plan.

Victor Erice tourne son film entre septembre et décembre, le soleil, d’habitude omniprésent et écrasant en Espagne, est ici souvent voilé par des nuages de plomb. Cette ambiance grise et triste renforce l’impression de délabrement qui se dégage des petites maisons, où débris et monceaux de meubles s’entassent à l’extérieur. Un chien monte la garde ; on entend la télé qui crachote ses émissions depuis l’intérieur du salon.

Le plan suivant révèle pourquoi ces bicoques ont échappé à l’urbanisation moderne du quartier : un travelling latéral explore leur environnement et met en évidence la proximité d’une ligne de train, avec la gare en fond de perspective.

Une ligne de linge avec des draps – qui ont du mal à sécher – est étendue dans les franges d’un terrain vague, trop étroit pour faire le jeu des promoteurs. Quelques enfants jouent au foot, entre bidons en plastique et épave de machine à laver.

Erice revient ensuite à son sujet : le peintre, le cognassier et le tableau.

Cette séquence, qui n’a duré que deux minutes chrono, a suffi à construire un portrait sensible des différents univers de ce quartier de Madrid. De la rue cossue avec des petites villas sympathiques où habite le peintre, on est passé sans transition à d’imposants immeubles de 5 à 6 étages, puis à de minuscules maisons délabrées en bordure d’une zone déstructurée, dominée par des murs, des bennes, des transformateurs taggés…

Victor Erice en dit plus long sur l’urbanisme et le développement de la ville moderne en deux minutes et sans aucun commentaire, que beaucoup de documentaires qui s’y consacrent pendant des heures !

EL SOL DEL MEMBRILLO (Le Songe de la Lumière) 1992 Victor Erice

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