Ombre et lumière : la spirale mystique du Golem

DER GOLEM, WIE ER IN DIE WELT KAM (Le Golem) 1920 Paul Wegener

Dans le cinéma expressionniste allemand, l’escalier est par excellence un espace dramatique : il ne sert pas seulement à franchir des étages, mais relie, de manière métaphorique, des mondes opposés — la lumière et l’ombre, la matière et l’esprit.

Dans Le Golem de Paul Wegener, la grande pièce de la maison du rabbin Loew est dominée par un élément central : l’escalier. En colimaçon, étroit et irrégulier, il s’élève de façon conique vers la terrasse et reflète à merveille les principes de l’architecture expressionniste, dont Hans Poelzig — architecte et chef décorateur du film — est l’un des pionniers.

Poelzig conçoit l’escalier de manière organique, presque sculptée, comme un prolongement du corps humain ou des éléments naturels (grottes, racines, spirales). Taillé dans la même terre glaise que les murs, il semble vivant : il respire, serpente, et relie le monde terrestre (le ghetto) à la sphère spirituelle (le ciel). En descendant vers le laboratoire où naît le Golem, ou en montant vers la terrasse d’où Loew observe les étoiles et prédit l’avenir, on traverse symboliquement les différents niveaux de la création.

De manière plus générale, l’escalier renvoie à la mystique juive à travers le motif de l’ascension : déjà présent dans la Scala mystica médiévale, dans la vision de Jacob (la fameuse « échelle de Jacob ») ou encore dans certains traités cabalistiques du XVIᵉ siècle à Prague. Il devient littéralement la mise en scène de la pensée mystique elle-même : le cheminement de l’esprit humain vers un savoir dangereux ou interdit.

Pour souligner cette analogie, Wegener place le rabbin devant l’escalier lorsqu’il évoque, dans une scène d’anthologie, les esprits afin d’apprendre le mot qui réveillera le Golem.

Cette sculpture fonctionnelle peut aussi être vue comme l’aboutissement des nombreux dessins au fusain que Poelzig réalisa pour donner corps à une nouvelle expression architecturale — avant de se détourner de l’ornement pour rejoindre la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité). Il s’agit d’une architecture à la fois mystique et palpable, en résonance avec les travaux de ses contemporains Bruno Taut (son Palais de glace, 1914) ou encore Erich Mendelsohn (la tour Einstein à Potsdam), qui prônent une architecture totale, organique et symbolique.

Historiquement, l’escalier du Golem renvoie aux gravures romantiques de Piranèse (Carceri d’Invenzione) ainsi qu’aux intérieurs gothiques des tableaux de Caspar David Friedrich.

Dans le récit, il accroît la tension dramatique : Florian, le chevalier amoureux de la fille du rabbin, est poursuivi par le Golem à travers l’escalier avant d’être précipité du haut de la terrasse.

Le Golem descend ensuite l’escalier en portant Miriam dans ses bras — l’une des premières évocations cinématographiques du motif de la belle et la bête, image iconique du cinéma d’horreur.

Enfin, lorsque le Golem se déchaîne et que la maison du rabbin s’embrase, l’escalier se transforme littéralement en colonne de feu avant de s’effondrer, image finale d’une architecture consumée par sa propre puissance symbolique !

DER GOLEM, WIE ER IN DIE WELT KAM (Le Golem) 1920 Paul Wegener

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