RUSHMORE 1998 Wes Anderson
THE ROYAL TENENBAUMS (La famille Tenenbaum) 2001 Wes Anderson
Wes Anderson est un cinéaste transatlantique1, dont les films font constamment référence au cinéma européenne et notamment français.
1 Cette particularité du cinéma d’Anderson, ainsi que ses nombreuses références aux œuvres de François Truffaut, Louis Malle, Jean Renoir et Sacha Guitry, sont mises en évidence dans le livre « Wes Anderson – cinéaste transatlantique » de Julie Assouly, paru en 2024.

Dès son deuxième film, Rushmore, l’engouement pour la France est déjà manifeste dans le personnage de Max Fischer (Jason Schwartzman), élève excentrique mais médiocre d’une école privée prestigieuse, qui compense ses mauvaises notes en multipliant ses engagements dans des activités annexes proposées par l’établissement. Parmi elles, le club de français, qu’il préside affublé d’un béret et d’une écharpe tricolore, avec, au premier plan, une maquette de la tour Eiffel ! Il est également fan du commandant Cousteau2 et s’efforce de monter un projet pour construire un aquarium sur le campus.
2 La vie et l’œuvre de Jacques-Yves Cousteau ont également inspiré, de manière librement, son troisième film, La Vie aquatique.

Selon l’analyse de Julie Assouly, Anderson place un hommage (très) discret à Antoine Doinel (interprété par Jean-Pierre Léaud), héros de cinq films de François Truffaut et modèle de son personnage principal : Max Fischer : si la tour Eiffel est présente dans tous les films de Truffaut consacrés à Doinel, dès Les 400 coups (1959), on peut le voir au début de L’Amour en fuite (1979) sous forme de dessin affichée dans la chambre de Doinel.

Un dessin semblable figure au début de Rushmore dans le cahier de mathématique de Fischer.

Son film suivant, La Famille Tenenbaum, montre brièvement la tour Eiffel, sous forme de reflet dans le vitrage d’un hôtel lors du séjour parisien de Margot Tenenbaum (Gwyneth Paltrow).

C’est un hommage à peine voilé au film Playtime (1967) de Jacques Tati, qui s’amuse à montrer un Paris ultramoderne et transparent, où les monuments n’apparaissent que sous forme de reflets dans les vitres.

À l’inverse, son court-métrage Hôtel Chevalier (2007), prélude au film À bord du Darjeeling Limited, situé en plein cœur de Paris, ne montre jamais la tour Eiffel ! Pourtant, l’Hôtel Raphael, avenue Kléber, qui a servi de lieu de tournage, offre en réalité des vues spectaculaires sur la tour Eiffel depuis certaines suites et terrasses. Mais Anderson semble délibérément choisir une chambre donnant sur un autre hôtel cinq étoiles (Le Peninsula, situé juste en face).

Hôtel Chevalier s’inscrit assez logiquement dans la tradition des films à sketches populaires des années soixante et fait notamment référence à Paris vu par…3 (1965), où la tour Eiffel n’apparaît qu’une seule fois pendant le générique de début.
3 Ce film réunit six courts-métrages de réalisateurs de la Nouvelle Vague française : Claude Chabrol, Jean Douchet, Jean-Luc Godard, Jean-Daniel Pollet, Éric Rohmer et Jean Rouch.


Les diverses saynètes montrent surtout des problèmes de couples filmés sur le principe du « Kammerspiel »4 , avec les protagonistes enfermés dans des appartements parisiens – un dispositif qu’Anderson reprend pour son court-métrage afin de montrer l’incompatibilité entre les personnages de Natalie Portman et Jason Schwartzman (ci-dessous à droite – à gauche une image du segment Rue Saint-Denis de Jean-Daniel Pollet avec Claude Melki et Micheline Dax).
4 Littéralement « film de chambre » – un courant du théâtre allemand, qui privilégie un naturalisme intimiste et social, avec unité de lieu, de temps et d’action.

Son film The French Dispatch de 2021 se déroule bien en France, mais ne se plie pas aux exigences d’une topographie réelle. Anderson évite consciencieusement de montrer des monuments nationaux caractéristiques (comme la tour Eiffel) et situe les aventures d’une poignée de journalistes américains dans la ville imaginaire d’« Ennui-sur-Blasé » (tourné dans les rues d’Angoulême).

Anderson n’a pas l’ambition de représenter une quelconque réalité française, passée ou présente, mais plutôt la perception biaisée de ces Américains qui séjournent plus ou moins longtemps dans le pays et collectent ce qu’ils estiment « typique » pour le présenter à leurs lecteurs.

Dans l’univers très codé de Wes Anderson, la tour Eiffel n’est ni un repère facile ni un cliché touristique. Même lorsqu’elle apparaît sous forme de double fantaisiste (dans The French Dispatch ci-dessus) ce n’est jamais pour « faire carte postale ».
La démarche d’Anderson est avant tout référentielle : elle reflète ses goûts très personnels pour un certain cinéma français qui a façonné sa vision du pays. La tour Eiffel devient ainsi moins un décor qu’un clin d’œil cinéphile, un signal discret pour saluer François Truffaut et son Antoine Doinel, ou Jacques Tati et son art unique de composer des images à la fois drôles, poétiques et satiriques.
RUSHMORE 1998 Wes Anderson
THE ROYAL TENENBAUMS (La famille Tenenbaum) 2001 Wes Anderson