MIES VAILLA MENNEISYYTTÄ (L’homme sans passé) 2002 Aki Kaurismaki
Le cinéma minimaliste et personnel d’Aki Kaurismäki a débouché, au fil des années, sur une réinvention de deux courants marquants du cinéma européen : le réalisme poétique français, incarné dans les années 1930 par Marcel Carné et Jacques Prévert, et le néoréalisme rose italien, des années 1950 et 1960, avec des films de Vittorio De Sica, Luigi Comencini ou encore Mario Monicelli.

Ces deux courants orientent leurs histoires vers la comédie, tout en conservant une veine réaliste et sociale. D’autres influences de son cinéma sont le surréalisme, une apparente simplicité de la mise en scène (composée en réalité de cadrages très soignés et réfléchis), ainsi que des histoires du quotidien, centrées sur des gens simples. Cette approche s’inscrit dans la lignée de cinéastes tels que Robert Bresson, Luis Buñuel et Yasujirō Ozu, auxquels Kaurismaki vouent une profonde admiration.

Le cinéma de Kaurismäki parle des laissés-pour-compte dans une société guidée par le succès et la consommation. C’est un cinéaste engagé, qui ne cesse de dénoncer les méfaits du capitalisme à travers ses films, notamment dans L’Homme sans passé (2002).

Un homme, arrivant à Helsinki¹, est victime d’un groupe de malfrats qui le passent à tabac et lui volent ses papiers ainsi que ses bagages. Laissé inconscient sur le sol, il se réveille à l’hôpital, la tête entourée de bandages, tel une momie. Ne comprenant rien à ce qui s’est passé et ne se souvenant de rien, il s’échappe et erre dans les rues de la ville pour finalement s’effondrer près du port.
¹ La majorité des films de Kaurismäki se déroulent dans la capitale finlandaise.

Autour du port industriel – vaste plateforme logistique qui voit défiler des conteneurs provenant du monde entier, il tombe sur une communauté qui vit en marge de la société – justement dans des conteneurs de marchandises désaffectés.

Un endroit, qui lui permet de reprendre vie, sans papiers ni souvenirs de son passé.


Chez Kaurismäki, la misère — plus facile à supporter quand on peut faire sécher le linge au soleil (ce qui ne doit pas toujours être le cas en Finlande) — est sublimée à travers des images idéalisées et lyriques, souvent sous forme de touchants clins d’œil au cinéma du quotidien du Japonais Ozu.

Située dans le présent (2002), la mise en scène de Kaurismäki brouille en permanence les repères temporels à travers un décor minimaliste et désuet. Voitures et mobilier des années cinquante se retrouvent ainsi au milieu de caisses métalliques jadis destinées au transport de marchandises, et désormais utilisées comme logements de fortune.

Cette superposition d’une réalité concrète (des boîtes métalliques décolorées, peu isolées et avec des fenêtres bricolées, utilisées comme abris au milieu des détritus du port) et d’un regard poétique (un mobilier à la fois branché et récupéré — comme l’inévitable juke-box présent dans quasiment tous les films du Finlandais) crée une atmosphère unique.


L’absence de salle de bains est compensée par des installations bricolées en extérieur, un brin tatiesques, nécessitant un temps clément et de petites mains pour assurer la distribution d’eau.

L’épuration des décors, souligné par des cadrages extrêmement précis, s’accompagne du mutisme quasi permanent des personnages : dans les films de Kaurismäki, on parle peu, voire pas du tout.

Les gestes et les regards sont plus importants que les mots, et lorsqu’une phrase est prononcée, elle a autant d’importance qu’un meuble choisi avec soin et placé au bon endroit. Cette maîtrise parfaite de l’image fait qu’aucun élément n’est superflu.

Ce laconisme des personnages et leur expression minimaliste rappellent Buster Keaton ou Bill Murray ; les cadrages, qui dévoilent la beauté au cœur même des déchets de l’histoire, évoquent ceux des films de Jim Jarmusch ou des premiers Wes Anderson.

Les architectes se sont également emparé des conteneurs pour les transformer en logements — individuels ou même collectifs (ci-dessus un exemple de 2001 dans les docks de Londres, en Angleterre à Trinity Buoy Wharf). L’idée est de réemployer une structure solide et durable à coût réduit, pour une construction rapide qui laisse la possibilité d’une certaine mobilité (grâce à la possibilité de déplacer les unités de blocs rectangulaires).

Un autre exemple au Havre, la Cité A Docks, créé ainsi une résidence étudiante avec ces blocs longitudinaux assemblé par l’architecte Séverine Cattani. Les portes des pignons sont remplacées par de grands vitres qui diffusent la lumière, avec des conteneurs empilés sur quatre niveaux reliés par des coursives extérieures.

Certaines villas avant-gardistes intègrent également ces éléments préfabriqués et détournés, comme le projet Containers of Hope, construit en 2011 par Benjamin Garcia Saxe à San José, au Costa Rica.

Les inconvénients liés à l’utilisation des conteneurs sont évidents : absence d’isolation thermique et acoustique, nécessité de découpes pour créer des ouvertures vitrées, risques de pollution selon le type de marchandise transportée, corrosion possible, et espace intérieur réduit à 2,40 m de largeur.

Des contraintes dont les habitants du village de conteneurs improvisé de Kaurismäki s’accommodent comme ils le peuvent : dans la bonne humeur, avec résilience et du Rock’n’roll.
MIES VAILLA MENNEISYYTTÄ (L’homme sans passé) 2002 Aki Kaurismaki