THE HAUNTING (La maison du diable) 1963 Robert Wise
Entre deux comédies musicales à très grand succès (« West Side Story » en 1961 et « La Mélodie du bonheur » en 1965), Robert Wise tourne un étonnant et remarquable film d’épouvante qui est devenu un des grands classiques de l’horreur gothique.
Le professeur Markway (Richard Johnson), spécialiste des phénomènes paranormaux, organise un séjour dans un manoir que l’on dit hanté, Hill House.

Il y retrouve deux médiums, Eleanor Lence – « Nell » (Julie Harris), vieille fille qui a déjà eu affaire à un Poltergeist1 et Théodora – « Théo » (Claire Bloom), qui aurait le don de lire dans les pensées. Luke Sanderson (Russ Tamblyn), héritier des lieux, complète l’équipe insolite de ces chasseurs de fantômes improvisés.
1 Phénomène paranormal se caractérisant par des bruits et/ou déplacements d’objets a priori inexplicables.

Pour Markway, la maison est hantée parce que son commanditaire, qui a également dessiné les plans, incarnait un être profondément méchant. Comme si la cruauté d’une personne pouvait se transmettre à son œuvre. (Méfiez-vous désormais des architectes louches !). Il en tient pour preuve, qu’aucune pièce ne comporte d’angle droit (ce qui désoriente le visiteur)…

… et que les portes montées sur des gongs désaxés, s’ouvrent ou se ferment subrepticement sans raison (ce qui pourrait être tout simplement qualifié de « malfaçons »). Toujours est-il que des choses étranges se déroulent dans Hill House, ayant déjà provoqué la mort violente de trois femmes.

« The Haunting » établit très vite une analogie entre l’esprit dérangé de la maison et l’esprit non moins perturbé de Nell, dont la voix intérieure en off nous dévoile ses craintes et pensées. Nell est « timide, vulnérable et amèrement rancunière à cause des onze années perdues à s’occuper de sa mère mourante. »2 Sa mission de percer les secrets de Hill House lui donne enfin l’espoir qu’une vie nouvelle va commencer.
2 Extrait du roman « The Haunting of Hill House » de Shirley Jackson, qui a inspiré le film.

La maison utilisée comme décor pour les extérieurs est décrite par les historiens Chris Pickford et Nikolaus Pevsner comme « la maison la plus impressionnante et la plus importante du style « high victorian » dans le comté de Warwickshire ». Ettington Park (Hill House dans le film) est situé dans la campagne, à une dizaine de kilomètres au Sud de la ville de Stratford-upon-Avon. Un ancien bâtiment préexistant a été agrandi et entièrement remodelé entre 1852 et 1863, lors d’aménagements importants réalisés par l’architecte anglais John Prichard.

C’est lui qui a dessiné les façades de style néo-gothique, caractérisées par des bandes jaunes et grises en pierre de taille calcaire – désormais assimilées à la notion d’architecture horrifique, après le succès remporté par le film. Le manoir a été depuis transformé en hôtel de luxe et le grand hall d’entrée (qui date de 1811) ne se départit pas de sa réputation : il est hanté par des fantômes !

Il n’est pas étonnant que les personnages du film se perdent facilement dans cette maison, qui compte 60 chambres inscrites dans un plan en « E » sur deux niveaux, et des combles. C’est d’ailleurs la source de l’unique gag du film, quand Markway, sûr de lui, affirme avoir étudié les plans et connaître les pièces, alors que la porte qui les conduit dans le grand salon s’ouvre sur… un minuscule débarras.

Le décorateur Elliot Scott a réalisé l’ensemble des intérieurs, dans les studios de la MGM-British à Borehamwood, au Nord de Londres.

Il s’inspire en partie d’Ettington Park, pour le grand escalier du hall notamment…

… et reconstitue l’imposante verrière, où il installe un ensemble de statues énigmatiques évoquant à la fois les quatre habitants d’origine de la demeure et nos quatre chasseurs de fantômes. Chaque pièce est surchargée de décorations, de statuettes et de mobilier baroque dont la présence se fait oppressante.

Parmi les nombreux objets et bibelots qui remplissent les pièces, on peut remarquer dans la chambre de Nell, une réplique de « Dama velata »/ »The Bride », célèbre sculpture réalisée par Raffaele Monti autour de 1845 – ici en arrière-plan de Rosalie Crutchley, dans le rôle de Mrs Dudley la servante pas si aimable, qui pour rien au monde ne passerait une nuit dans la maison maudite.
C’est Nell qui arrive en premier à Hill House et se perd tout de suite dans les interminables couloirs et enfilades de pièces.

Elle est sauvée par l’apparition de Théo, une femme élégante à l’assurance affirmée – tout ce qui fait défaut à Nell. La relation complexe entre les deux femmes dessine une Théo ayant l’ascendant sur Nell, insistant plusieurs fois sur leur entente fusionnelle « comme des sœurs », avec le résultat que les deux femmes seront troublées et attirées par une relation qui va au-delà d’une simple amitié.

Wise rend cette connotation évidente dans la première manifestation surnaturelle. Dans la nuit, des grondements et bruits de plus en plus forts précipitent Nell et Théo dans le même lit, effrayées. Des frappes tonitruantes s’acharnent sur les portes et les murs extérieurs.

Dans un brillant article, Patricia White2 démontre comment la naissance d’une sexualité déviante par essence même jugée effrayante (dans les années soixante) s’imbrique avec le vocabulaire du film d’horreur. Les actions de la maison hantée deviennent alors images du désir lesbien.
2 Patricia White « Female Spectator, Lesbian Spector – The Haunting » in COLOMINA, Beatriz : « Sexuality and Space » Princetown Architectural Press New York 1992

L’architecture victorienne de la maison, les nombreuses statuettes et les apparitions paranormales jouent un élément déclencheur fort dans la psyché de Nell, qui découvre pour la première fois un lieu à la fois inquiétant mais surtout tellement fascinant qu’elle ne veut plus le quitter ! Elle prend conscience que ce même lieu réveille en elle ses plus grandes peurs et désirs refoulés.

Désirs qui se partagent entre une attirance rassurante pour le professeur Markway (qui apparaît plutôt comme figure paternelle) et une inclinaison sensuelle pour Théo, qui joue avec cruauté de ses faiblesses.

Le film n’utilise que peu d’effets spéciaux et tire sa force de l’utilisation efficace et intelligente du décor avec des couloirs interminables et des escaliers vertigineux. Les mouvements envoûtants de la caméra accentuent l’impression d’une force extérieure qui envahit la demeure.

La séquence la plus célèbre met en péril la vie de Nell quand elle gravit un escalier métallique branlant en colimaçon qui risque de se décrocher à tout moment !

Rares sont les films qui mettent en avant deux femmes à la personnalité complexe comme principales protagonistes. Celui-ci déjoue ainsi les attentes classiques du film de genre : ici, point de héros pour sauver la jolie ingénue des griffes du méchant, mais une mise en abyme de la psyché féminine, conditionnée par des conventions et non-dits de la société qui s’entrechoquent avec des pulsions refoulées.
Un chef-d’œuvre.
THE HAUNTING (La maison du diable) 1963 Robert Wise