THE HAND OF PERIL 1916 Maurice Tourneur
THE HIGH SIGN (Malek-Champion de Tir) 1921 Buster Keaton
Дом на Трубной (La Maison de la place Troubnaia) 1927 Boris Barnet
FOOTLIGHTPARADE (Prologue) 1933 Lloyd Bacon
THE LADIES MAN (Le tombeur de ces dames) 1961 Jerry Lewis
TOUT VA BIEN 1972 Jean-Luc Godard
SYNECDOCHE NY 2008 Charlie Kaufman
Deux types de dessins sont essentiels pour donner à voir l’architecture : le plan et la coupe.

Quand la représentation en coupe est incluse dans le procédé cinématographique, le résultat correspond étrangement à l’une des caractéristiques significatives de la maison de poupée, comme on a déjà pu le démontrer à travers une séquence du film « Absolute Beginners ».

Car les maisons de poupée possèdent des façades amovibles qui permettent d’accéder à l’intérieur de l’habitacle et de manipuler facilement figurines et mobilier. Paul King – qui s’adresse à un public d’enfants (mais pas seulement) – réalise « Paddington » en 2014, bien conscient de cet effet : il montre en coupe, un court instant, la maison de la famille Brown, qui a adopté l’ourson.

Par ailleurs, on trouve des dessins en coupe perspective assez souvent dans les livres pour enfants, comme ceux illustrés par l’anglaise Jill Barkem ou encore par le japonais Kazuo Iwamura.

De la même manière, les manuels scolaires utilisent ce code graphique, repris à son tour par Wes Anderson dans « La Vie aquatique », pour montrer le fonctionnement du bateau du capitaine Zizou (Bill Murray) – hommage explicite aux documentaires du commandant Cousteau.

On attribue généralement à Maurice Tourneur, cinéaste français émigré aux Etats-Unis, la première utilisation en 1916 d’un décor en coupe à grande échelle (« cuttaway set »), pour « The Hand of Peril ». Si le film a aujourd’hui disparu, il subsiste des articles qui attestent de cette nouveauté et de l’ingéniosité du procédé, permettant de montrer simultanément plusieurs actions se déroulant en parallèle dans une maison, à des niveaux et endroits différents.


Tourneur avait déjà testé ce procédé audacieux un an avant dans le film de gangsters « Alias Jimmy Valentine » (1915), où il élève la caméra au-dessus du plafond (qu’il supprime) pour montrer en continuité l’activité des gangsters dans une pièce, et l’arrivée du vigile dans une autre.

Mais c’est surtout le court métrage « Malek champion de tir » (1921) de et avec Buster Keaton, qui développe de manière magistrale toutes les possibilités d’un décor en coupe.

Keaton, un des maîtres du burlesque, s’intéresse beaucoup aux possibilités qu’offre l’architecture dans le développement de ses gags et cascades incroyables. Dans « Malek champion de tir », il affronte des gangsters et leur échappe en ayant transformé une maison à l’avance, avec des trappes et des passages secrets entre les chambres et les étages.

Si Keaton nous montre la maison en coupe, c’est essentiellement pour pouvoir filmer en continuité la poursuite frénétique à travers quatre pièces situées sur deux niveaux. Curieusement, la maison, qui est en fait un très grand décor, donne l’impression d’une maison de poupée minuscule – un effet assez paradoxal. Le fait de la voir en coupe nous extrait de la réalité du récit par le biais d’un point de vue impossible (dans la réalité).

Dans le film muet soviétique « La maison de la place Troubnaïa » c’est la cage d’escalier, lieu de croisement des résidents pour propager les derniers potins, qui est montrée en coupe. Ce lieu de rencontre et de ragots important dans l’intrigue devient même l’élément graphique de l’affiche du film.

Ce film satirique aurait pu s’appeler « Bécassine à Moscou », puisqu’il raconte les mésaventures d’une jeune paysanne, Paracha Pitounova (Vera Maretskaïa) débarquant dans la capitale, perdue mais pleine de bonne volonté. Exploitée comme femme de ménage par les propriétaires d’un immeuble qui profitent de sa timidité et son inexpérience, elle devient néanmoins et malgré elle l’emblème d’une foule révoltée qui manifeste contre les injustices sociales.

Dans les années qui suivent, des nombreuses comédies musicales s’approprient ce procédé irréel. « Prologue » de Lloyd Bacon (1933), par exemple, montre un hôtel en coupe où le spectateur voit ce que ne voient pas les hommes du couloir central : dans chacune des pièces, une femme est en train de se déshabiller … Le spectateur en sait plus que les protagonistes et devient, par la même occasion, voyeur.

Dans « Le Tombeur de ces dames » (1961), le comique Jerry Lewis, qui a la phobie des femmes, commence un travail comme homme à tout faire dans un pensionnat qu’il pense réservé aux hommes. Arrivé de nuit la veille, il découvre la maison – en même temps que le spectateur – qui s’avère très impressionnante, avec un escalier somptueux et un immense hall central. La caméra recule encore et dévoile un décor absolument splendide et… en coupe.

Une vraie bonbonnière de maison de poupée, qui coûtera fort cher à Jerry Lewis sans qu’il sache réellement en tirer parti, puisqu’il n’utilise jamais les possibilités offertes par son décor : montrer plusieurs scènes en parallèle. Pire encore, le scénario imagine l’arrivée d’une équipe de télévision venue enregistrer une émission sur les lieux, ce qui supprime le côté fantastique du procédé. L’essai (conscient ou non) de faire un métarécit qui unit fiction et filmage ne convainc pas, noyé dans des gags lourdingues.

« Tout va bien » (1972) de Jean-Luc Godard, s’inspire ouvertement du « Tombeur de ces dames », avec une scène qui se déroule dans une usine en grève. Un couple de journalistes (Yves Montand et Jane Fonda) se rend dans une fabrique de charcuterie industrielle, ignorant qu’elle est occupée par ses ouvriers, et se retrouve séquestré avec le patron. Etonnamment, Godard choisit un décor en coupe perspective pour montrer ce qui se passe à l’intérieur des bureaux. La situation est préoccupante et il a un message à faire passer ; cependant le cinéaste la détourne par l’image de manière plutôt ludique et fait même appel au registre de la comédie musicale, remplaçant les chansons d’amour par des chants militants. Le métarécit fonctionne ici vraiment bien par la mise en abyme d’un procédé cinématographique inattendu et détourné !

Un des derniers films ayant recours au décor en coupe perspective est le morose « Synecdoche New York » (2008). Un metteur en scène de théâtre y fait construire un décor gigantesque dans un immense entrepôt, pour une pièce jouée quotidiennement et sans limite dans le temps, par des comédiens dévoués, en l’absence totale de public. Le cinéaste Charlie Kaufman s’est sans doute fait plaisir en construisant son propre mausolée – voire sa propre folie1 – pour célébrer pleinement ses névroses. Mais le plaisir n’est nullement partagé et le spectateur s’ennuie ou s’endort … profondément.
« Le Tombeur de ces dames » et « Synecdoche New York » démontrent bien qu’un décor spectaculaire (en coupe ou pas) ne suffit pas à faire un bon film. Le décor doit justifier sa présence par l’histoire ou la manière dont elle est racontée – peu importe si elle est farfelue, comme chez Buster Keaton ou critique comme chez Godard.
1une folie désigne une maison de plaisance, une ruine dans un parc ou toute autre extravagance construite sans utilité apparente par une personne aisée : aristocrate, financier ou actrice..
THE HAND OF PERIL 1916 Maurice Tourneur
THE HIGH SIGN (Malek-Champion de Tir) 1921 Buster Keaton
Дом на Трубной (La Maison de la place Troubnaia) 1927 Boris Barnet
FOOTLIGHTPARADE (Prologue) 1933 Lloyd Bacon
THE LADIES MAN (Le tombeur de ces dames) 1961 Jerry Lewis
TOUT VA BIEN 1972 Jean-Luc Godard
SYNECDOCHE NY 2008 Charlie Kaufman