Où est la femme architecte au cinéma ? (2/3)
Placer sa caméra sur une femme architecte et en faire le sujet central d’un film n’inspire pas ou peu les scénaristes et metteurs en scènes. Et les films qui le font autour des architectes hommes ne sont pas mieux inspirés puisque le principal sujet traité ne concerne pas leur art mais… leur libido. Peu importe ce qu’ils réalisent, l’important, c’est avec qui ils couchent. La différence, mais elle est encore révélatrice, c’est que l’architecte homme choisit une parmi les nombreuses femmes de son entourage (qui aura la chance d’être élue). Alors que la femme architecte, quand elle n’est pas lesbienne et obtient le statut d’héroïne secondaire, subit. Ce qui dresse au passage de nombreux portraits de femmes délaissées, architectes parfois, épouses le plus souvent.
Le héros constructeur (à défaut d’être constructif) balance très souvent entre deux femmes : son épouse et sa maîtresse. Dans ces films, le couple légitime exerce souvent le même métier et est associé dans le travail (ce qui arrive, il faut bien l’admettre, très souvent dans la réalité).

Dans « Les Choses de la vie » de Claude Sautet, Lea Massari est associée avec son mari Michel Piccoli, qui la trompe avec Romy Schneider.

On retrouve ce principe dans le remake américain du film précité, avec Sharon Stone, architecte esseulée, dans « Intersection » de Mark Rydell (1994), à côté de son mari et collègue de travail Richard Gere, qui lui préfère la jeune Lolita Davidovich. Si le film est moins réussi que l’original de Claude Sautet, il donne plus d’importance au rôle de la femme architecte et on se demande comment Richard Gere peut être aussi peu inspiré de troquer Sharon Stone pour l’insipide beauté Davidovich.

De la même manière, l’architecte Lisa (Arly Jover) reste impuissante devant l’attrait éprouvé par son mari et associé Mathieu (Yvan Attal) pour Maya, un amour de jeunesse retrouvé par hasard dans « Les Regrets » de Cédric Kahn (2009).


Contrainte de présenter seule un (très) ambitieux projet pendant que son mari s’amuse avec sa nouvelle muse, la maquette comme le projet finiront à la poubelle : une mise en image de l’échec professionnel, qu’on retrouve aussi dans « Un beau jour », avec Michelle Pfeiffer en architecte débordée.

« Adultère mode d’emploi » de Christine Pascal (1995) montre une variante un peu plus libertine du même principe, puisque madame l’architecte (Karin Viard) et monsieur l’architecte (Vincent Cassel) mènent leurs aventures chacun de leur côté, afin de décompresser après avoir rendu un concours important.
Dans tous ces films, la femme architecte incarne un rôle nettement moins important que son homologue masculin, traité comme le héros central de l’histoire.
Une autre constante scénaristique est la jeune et jolie étudiante en architecture :


« Baron vampire » de Mario Bava (1972) nous présente Eva Arnold (Elke Sommer), étudiante en architecture attachée à la protection du patrimoine.

Elle étudie les mystères d’un château hanté en pull très ajusté et mini-jupe très courte et deviendra au fil de l’intrigue très mince, la fille à sauver des griffes d’un tueur en série.

Monica (Valérie Kapriski), étudiante en architecture à l’Université de Californie à Los Angeles, se laisse distraire de ses études par son copain Richard Gere, petit truand à la dérive, dans « A bout de souffle, made in USA » de Jim McBride.

La vogue du postmodernisme (le film a été tourné en 1983) permet à Monica d’accorder son chemisier avec les portes roses de sa maquette néo- post- quelque chose qui aurait ravi Léon Krier1. Quoi qu’il en soit, la caméra de Jim McBride s’attarde plus longtemps sur les formes de son corps parfait que sur celles des maquettes de ses projets (moins parfaits).
1Léon Krier : architecte et urbaniste défendant des doctrines classiques et un des inspirateurs du mouvement postmoderne.

Dans « Profession : reporter », le faux reporter Jack Nicholson rencontre une lumineuse et étrange fille1, la jeune Maria Schneider, elle aussi étudiante en architecture, ce qui justifie ses voyages à travers le monde… Car c’est bien connu, il faut expérimenter les bâtiments en les visitant pour juger de leur qualité. Il va aussi de soi que les deux feront un bout de chemin ensemble et qu’elle s’offre à lui.
1Texte publicitaire pour le film.

Puisque nous sommes chez Antonioni, où rien (ou presque) n’est gratuit, profitons au moins d’une superbe visite guidée des toits de la magnifique Casa Mila, construite par Antonio Gaudi entre 1906 et 1910 !

Un des plus récent portrait d’étudiante en architecture qui apparaît dans un film est Emilie (Marion Barbeau – passionnante et vulnérable) dans l’intéressant « Drone » de Simon Bouisson (2024). La jeune fille finance ses études comme camgirl, en se dénudant sur Internet, avant d ‘être poursuivie par un mystérieux drone. Simon Bouisson a l’intelligence de montrer (plutôt démonter) le cliché de la jeune et jolie débutante et de dénoncer le fait qu’elle est (surtout) l’objet du désir masculin.

« Drone » est un premier film assez réussi, malgré quelques petites faiblesses du scénario, qui inclut une vision idéalisée de l’habitat (l’étudiante sans ressources a un logement trop beau, comme sa copine, la DJeuse, mais peu importe).

Le film montre qu’une autre vision de la jeune architecte en herbe est possible avec une belle utilisation de l’architecture (l’exploitation de l’Urbex1 est justifiée par le sujet) et avec un point de vue critique sur la relation prof-élève resserré (la récupération des idées de l’étudiante au sein de l’agence du prof).
1 Urbex : (de l’anglais urban exploration) est l’exploration illicite des constructions abandonnées, dont les exploits sont souvent diffusés sur internet sous forme de visite guidée.

Sans tomber dans les attentes prévisibles du film d’horreur, ses qualités se trouvent dans une certaine retenue (et ambivalence par rapport aux « intentions » du drone) qui renforce l’ambiance malsaine de surveillance et de voyeurisme.

Cette prédominance des étudiantes en architecture dans le cinéma, ne serait donc pas uniquement motivée par le fait qu’elles soient toutes jeunes, jolies et parfois dénudées ? « Drone » prouve le contraire, même si le fait de faire de l’héroïne une lesbienne renforce un autre cliché de la femme architecte déjà évoqué dans Construire ou soigner.
Toujours est-il que, de l’épouse trompée à la jeune étudiante ciné-génique, la femme architecte au cinéma se révèle avant tout le miroir du désir de l’architecte : ses pannes, ses reflux, ses impulsions, ses atermoiements…
(à terminer la semaine prochaine sur cet écran)