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THE HEROIC TRIO 1993 Johnnie To

EXECUTIONNERS (HEROIC TRIO 2) 1993 Johnnie To et Ching Siu-tung

Cinq ans avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine par les Britanniques, l’industrie cinématographique de la métropole est à son apogée. La vague des films de Kung-Fu des années soixante, très populaires aux USA et en Europe, a laissé place au thriller urbain puis à des mélanges de genres et de styles de plus en plus fous, pour aboutir, assez souvent, à un grand n’importe quoi jouissif et maîtrisé.

Situés dans un monde rétro-futuriste, les décors de l’étonnant « The Heroic Trio » s’inspirent de  l’atmosphère steam-punk de « Brazil » (1985, dystopie de Terry Gilliam) et de « Batman » (1989, succès planétaire de Tim Burton), eux mêmes largement inspirés du classique « Metropolis » (1927, Fritz Lang).

Ce film d’action déjanté réunit les trois plus grandes vedettes féminines du cinéma de Hong Kong des années 80/90 : Michelle Yeoh, Anita Mui et Maggie Chung. Alors que le scénario était initialement prévu pour un trio d’hommes, Johnnie To change le sexe de ses protagonistes en raison  de restrictions budgétaires : les actrices à Hong Kong (comme partout dans le monde) sont moins bien payées que leurs homologues masculins et il peut ainsi avoir trois stars féminines pour le prix d’une vedette masculine.

Cette approche mercantile devient finalement l’atout du film, qui sort du lot grâce à ce trio attachant de femmes incroyables, belles, agiles, quasi invincibles et pourtant vulnérables, dans un pastiche loufoque et survolté de super-héros (bien avant l’aire Marvel) à la sauce hong-kongaise qui ne renie pas l’héritage du Wu xia pian classique (film de sabre chinois).

Comme tous les films de l’ancienne colonie britannique, « The Heroic Trio » est tourné dans la précipitation et avec un budget très serré. En conséquence, une seule rue doit suffire pour restituer l’atmosphère rétro-futuriste (dans le premier film) et post-apocalyptique (dans le deuxième).

Le paysage est composé de voitures des années 60, de ponts en béton et de lourds poteaux vaguement constructivistes qui soutiennent les bâtiments surmontés de néons dans des éclairages évoquants le film noir.

Johnnie To parvient à créer un monde décalé, sombre et cohérent en jouant sur des contrastes incongrus. Ainsi l’hôpital de la ville – élément important, car le méchant y vole des nouveaux-nés – est une sinistre boîte en béton gris, noyée dans le brouillard qui pénètre même à l’intérieur.

Le loft de Michelle Yeoh est fortement influencé par l’esthétique des clips qui passent en boucle sur MTV et par le film glamour « 9 semaines 1/2 » d’Adrien Lyne. Immense, il est décoré de grands lustres ainsi que de grosses turbines dignes de Jules Verne. Un ordinateur dernier cri orne le bureau.

To situe le point culminant d’une scène de course-poursuite entre Anita Mui et Maggie Chung au milieu d’un environnement composé uniquement de lattes de bois, qui filtrent la lumière de manière irréelle.

Les jeux d’ombre suffisent pour gommer les repères spatiaux habituels, tout en augmentant la sensation d’atmosphère angoissante. Cette plongée dans le cinéma expressionniste allemand des années vingt confirme l’ingéniosité du cinéma de Hong Kong capable de faire oublier le manque de moyens par une maîtrise absolue du cadrage et du montage.

Comme dans « Métropolis », la ville est doublée d’une entité souterraine où loge le super-méchant de l’histoire, un eunuque diabolique. Elle est accessible par les canalisations et fait basculer le récit dans un monde fantastique. Loin d’être un film politisé, l’obsession du méchant à vouloir restituer un nouvel empereur à la Chine exprime la peur d’une perte de liberté, après la rétrocession de Hong Kong. Une crainte qui s’est entretemps confirmée.

Il en résulte un film d’action avec des héroïnes virevoltantes dont la composante critique se dilue  entre scènes de combats habiles, blagues de mauvais goût et débordements de cruauté. Il faut garder une bonne dose d’indulgence pour le final, plutôt bâclé et qui tourne au plagiat maladroit de « Terminator 2 » (James Cameron). Ce dérapage mis à part, « The Heroic Trio » est un merveilleux mélange des genres, inventif, spectaculaire et terriblement bien rythmé.


Johnnie To tourne dans la foulée une suite, encore plus déjantée, sous forme de comédie musicale (!) – Anita Mui étant l’une des plus grande star de la Cantopop des années 90 – sans pour autant négliger les scènes de bagarres spectaculaires…

… ni oublier de mettre en avant l’agilité et surtout la beauté de ses trois vedettes.

THE HEROIC TRIO 1993 Johnnie To

EXECUTIONNERS (HEROIC TRIO 2) 1993 Johnnie To et Ching Siu-tung

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