Printemps de Prague … à Lyon

THE UNBEARABLE LIGHTNESS OF BEING (L’Insoutenable Légèreté de l’être) 1988 Philip Kaufman

En 1988, un an avant la chute du mur de Berlin, la Tchécoslovaquie est toujours un pays satellite de l’Union soviétique. Philip Kaufman ne peut donc pas si facilement investir la ville de Prague pour y adapter sur place le livre de Milan Kundera, « L’Insoutenable Légèreté de l’être ». Or, la capitale de la Tchécoslovaquie est un décor déterminant dans l’intrigue du roman.

Le réalisateur souhaite notamment illustrer le Printemps de Prague, entre janvier et août 1968, où le président Alexander Dubček prône un socialisme à visage humain qui accorde liberté de la presse, d’expression et de circulation. Cette bouffée de liberté est violemment étouffée par l’invasion des troupes du pacte de Varsovie dans une répression sanglante. Dans ce contexte politique oppressant toujours en place 20 ans après, la production du film décide de tourner ces scènes en France plutôt qu’en Tchécoslovaquie et notamment à Lyon (ci-dessus à gauche à Lyon ; à droite, un extrait d’archive documentaire utilisé dans le film).

Pour recréer les événements historiques, Kaufman a recours à un montage complexe de séquences reconstituées avec ses acteurs à Lyon en 1988 (à gauche, on reconnaît la basilique de Fourvière) et de scènes d’archives tournées en 1968 à Prague (à droite).

Des chars russes devant la Primatiale St. Jean de Lyon

La juxtaposition des images, mélangeant le vrai et le faux, le noir / blanc et la couleur, ainsi que des grains différents composent un style hybride et documentaire, afin d’immerger le spectateur dans l’atmosphère chaotique du centre de Prague en 1968. Les images du chef opérateur Sven Nykvist et le montage alterné avec des éléments d’archives de l’excellent Walter Murch plongent les deux protagonistes (interprétés par Juliette Binoche et Daniel Day-Lewis) et le spectateur au cœur des violents combats entre manifestants et soldats russes.

Si pour d’autres séquences, le décorateur en chef Pierre Guffroy choisit de construire d’imposants décors dans les studios de Boulogne-Billancourt, près de Paris, (notamment l’accès au pont Charles, ci-dessus), …

… le désordre de la ville assiégée est filmé dans le Vieux Lyon (image à gauche) avec sa dominante d’architecture renaissance caractéristique, qu’on retrouve aussi dans le centre de Prague (image à droite).

Ainsi, Daniel Day-Lewis et Juliette Binoche empruntent la montée du Chemin Neuf à Lyon pour rencontrer Lena Olin fuyant Prague en voiture,comme une grande partie des habitants de la ville.

Puis, ils se retrouvent avec les manifestants sur la place Saint-Jean dans le Vieux Lyon. La superposition audacieuse des images ancre le faux (les personnages du roman imaginés par Kundera) dans le vrai (les événements au mois d’août 1968) et permet au film d’acquérir une authenticité qui dépasse le simple récit de fiction.

Le fait que Juliette Binoche incarne une photographe permet à Kaufman de préparer le spectateur en amont, au collage de la séquence de la répression du Printemps de Prague : lors de ses prises de vue dans les rues de Prague avant les événements, le montage alterne images en mouvement en couleur avec des prises de vue en noir / blanc en plan fixe.

Si, selon Jean-Luc Godard, « Le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde »1, il est vrai aussi que le cinéma n’est que l’illusion d’une réalité (re)construite, dont le décor, le montage et le cadrage constituent les trois moyens pour la composer.

1 La citation exacte est « La photographie, c’est la vérité et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde… » dit par un personnage de son film « Le Petit Soldat » (1963).

THE UNBEARABLE LIGHTNESS OF BEING (L’Insoutenable Légèreté de l’être) 1988 Philip Kaufman

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