L’enseigne(ment) de Los Angeles

Une nouvelle typo-Safari dans la jungle urbaine

LOGORAMA 2009 François Alaux, Hervé de Crécy, Ludovic Houplain


Le succès surprise du film d’animation « Logorama » (prix KodakTM au Festival de Cannes / OscarTM du meilleur court métrage d’animation) réussit l’exploit de combiner prouesse technique et originalité subversive, en utilisant pas moins de 3000 logos publicitaires… pour lesquels aucune autorisation n’a été accordée, dans un récit apocalyptique au cœur de la ville de Los Angeles.

Si le scénario est assez faible, passant d’une course-poursuite digne d’un film policier1 avec prise d’otages, à une fin du monde avec tremblement de terre2, en 16 minutes chrono (6 ans de travail néanmoins !), la transformation de la ville en une véritable entité publicitaire dresse un constat aussi impressionnant que dérangeant.

1 Pastiche de « L’Inspecteur Harry » (Don Siegel), « Heat » (Michael Mann) et « Pulp Fiction » (Quentin Tarantino)

2 Pastiche de « Short Cuts » (Robert Altman) et « Tremblement de terre » (Mark Robson)

Une ville dominée par des affiches, publicités et slogans qui n’envahissent pas seulement l’espace public, mais qui le constituent. Logiquement, les habitants incarnent des logos de marque et c’est donc tout à fait normal que Mr PringlesTM drague de manière lourdaude depuis son camion, une mademoiselle EssoTM visiblement ennuyée.

Si le film renvoie aux paysages commerciaux des bords de routes américaines (et à sa suite des entrées de villes européennes), il est aussi – involontairement – une illustration parfaite des analyses et critiques formulées dès 1972 dans l’essai fondamental « L’enseignement de Las Vegas » (« Learning from Las Vegas ») de Denise Scott-Brown et Robert Venturi (à ne pas confondre avec Frank Ventura). Le couple d’architectes est le premier à s’interroger sur les signes publicitaires en tant qu’éléments urbanistiques, qui constituent une nouvelle forme d’expression et d’ornementation de l’architecture.

Dans les années 70, les films tournés à Los Angeles affichent déjà une surenchère d’enseignes (voir « Isaak Hayes à Los Angeles » ) et « Logorama » confirme la disparition totale de l’architecture proprement dite au profit des signes commerciaux. La couleur locale (ce qui identifie la ville de L. A.) se réduit ici à une colline du nom de ParamountTM avec le lion de la MGMTM parqué dans un zoo et l’enseigne « HollywoodTM » détournée en publicité pour gomme à mâcher.

De la part des créateurs du film, on perçoit un certain chauvinisme dans la distribution des rôles, puisque les représentants de la loi sont des Bibendums d’une célèbre marque française de pneus …

… qui affrontent un Ronald MacDonaldTM trafiquant d’armes déchaîné, prenant en otage Big BoyTM (mascotte d’une chaîne de restaurants américains) armé d’une mitraillette de la RAF (groupe terroriste allemand de la Bande à Baader).


Les rues de Los Angeles, cadrées selon le principe urbanistique des villes américaines sans aucun centre identifiable, se prêtent bien à cette superposition sans fin des enseignes juxtaposées sans aucune connexion – un fait bien réel qui caractérise la ville américaine et s’étend depuis quelques temps dans les zones d’activités et commerciales européennes.

Le tremblement de terre final puis l’inondation qui s’en suit vont faire table rase de ce monde artificiel – et en même temps de la ville et de ses habitants-mascottes3. Est-ce donc l’unique solution pour se débarrasser de ces graphismes envahissants ?

3 Les seuls survivants sont Mademoiselle EssoTM et l’insupportable môme Big BoyTM , échoués sur un bout d’île déserte (ou paradisiaque ?) estampillée NorthfaceTM.

L’équation « capitalisme = destruction de la terre » (et ses données bien connues de surexploitation des ressources, surproduction, surconsommation, omniprésence des marques, abrutissement des masses et enlaidissement des villes) est certainement simpliste et désamorcée par un traitement spectaculaire et divertissant de blockbuster hollywoodien à la Emmerich4

Mais ce film sans équivalent fait un pied de nez piquant à la jungle urbaine typographique poussée à son paroxysme. Derrière une célébration et une fine connaissance des marques qui nous englobent, pointe une critique mordante de cet ordre mondial… et de ce qui nous attend dans les années à venir !

4 Roland Emmerich, spécialiste des films-catastrophes opportunistes et réactionnaires comme « Independence Day », « 2012 » et « Le Jour après ».

LOGORAMA 2009 François Alaux, Hervé de Crécy, Ludovic Houplain

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