I … COMME ICARE 1979 Henri Verneuil
Quand Henri Verneuil tourne à 59 ans, sa version de l’assassinat de John F. Kennedy intitulée « I… comme Icare », il n’a plus rien à prouver. Depuis « La Vache et le Prisonnier » (1959) avec Fernandel, il enchaîne les succès grands publics autour de comédies (« Un singe en hiver », 1962) aussi bien que pour des polars devenus des classiques incontournables, comme « Mélodie en sous-sol » (1963), « Le Clan des Siciliens » (1969) ou encore « Peur sur la ville » (1975).

« I… comme Icare » s’inscrit dans la lignée d’une vague de polars politiques inspirés plus ou moins ouvertement de l’assassinat du président américain en 1963, émettant l’hypothèse d’un complot : « Conversation secrète » (The Conversation, 1974) de Coppola, « A cause d’un assassinat » (The Parallax View, 1974) de Pakula, ou encore « Blow Out » (1981) de De Palma.
Contrairement aux films de ce courant, tournés aux Etats-Unis et qui opèrent par ellipse ou transformation de la réalité pour se distancier de l’évènement source, Verneuil, tout en changeant les noms et les lieux, reprend fidèlement le déroulement des faits du 22 novembre 1963, à Dallas.

La présence d’un cinéaste amateur qui capte l’instant, renvoie au fameux Abraham Zapruder saisissant le meurtre de Kennedy en direct. L’assassin présumé du président sera tué à son tour et une longue enquête conclura à un acte isolé provenant d’une personne solitaire et dérangée.

Mais un homme, le procureur Henri Volney (Yves Montant) – et c’est là que commence la fiction – n’est pas d’accord avec les conclusions du rapport et ouvre une nouvelle enquête, qui va vite déranger et mettre en danger sa propre vie.

Afin de se distancier du déroulement des faits aux Etats-Unis, Verneuil tourne son film en France, mais il ne souhaite pas pour autant que le spectateur puisse penser que l’histoire s’y passe. Pour créer un pays non-identifiable (même si son drapeau imaginaire ressemble beaucoup au drapeau américain), il lui faut une ville assez importante, assez moderne, mais qui ne rappelle aucune grande ville française trop facilement reconnaissable, à l’instar de Lyon, Marseille ou Bordeaux…

Verneuil choisit alors de tourner la majeure partie de son film dans la ville nouvelle de Cergy-Pontoise (il filme aussi dans le quartier de La Défense). Imaginé en 1965 dans le cadre de la construction de cinq villes nouvelles en Île-de-France, le quartier administratif de Cergy-Pontoise a ouvert ses portes en 1970. Son bâtiment le plus emblématique est l’hôtel de préfecture du Val-d’Oise, construit par Henry Bernard, entre 1967 et 1970.

Sa forme caractéristique de pyramide inversée s’inspire du « Boston City Hall » (construit en 1968 par les architectes Kallmann, McKinnell & Knowles Campbell et Aldrich & Nulty). Ici, le bâtiment représente le palais du gouvernement.

Les alentours du quartier sont construits sur le principe de la séparation stricte des flux entre piétons et automobilistes (selon la fameuse « Charte d’Athènes » élaborée sur un bateau de croisière – voir aussi : La ville qui coule). De nombreuses passerelles enjambent de larges avenues. L’avenue Bernard Hirsch1 devient ainsi le décor parfait du cortège du président avec ses nombreux spectateurs sur les ponts piétonniers.
1 Bernard Hirsch, urbaniste en chef de Cergy-Pontoise a travaillé sous la direction de Paul Delouvrier, initiateur du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme des villes nouvelles.

Verneuil combine ces vues avec des images tournées sur le boulevard Pierre Gaudin (quartier de La Défense à Puteaux) et sur l’avenue Albert Gleizes (quartier de La Défense à Courbevoie) pour ainsi récréer une ville uniquement composée de larges avenues bordées d’imposants bâtiments récents et cubiques en béton, verre et acier.

Tout au long du film, l’image d’une ville moderne mais quelconque et imprécise reste prédominante. Les vues des bureaux de Richard Mallory, chef des opérations spéciales des services secrets, sont tournées autour de la place Jean Millier (quartier de La Défense). Celles du procureur Volney (dont l’intérieur est créé en studio) sont également composées des gratte-ciels des années 70 du même quartier.

Les tirs des deux assassins du président proviennent de la tour EDF-GDF (14 étages, 85 m de hauteur), construite par l’architecte suisse Renzo Moro, située juste à côté de l’hôtel de préfecture du Val-d’Oise à Cergy.

L’assassin supposé Karl-Éric Daslow (Didier Sauvegrain) tire depuis le toit de la tour …

… tandis que le véritable tueur, Luigi Lacosta (Michel Albertini), tire depuis un niveau inférieur, comme le film amateur va le prouver. Cette théorie comporte néanmoins une faille puisque les fenêtres de la tour EDF-GDF ne s’ouvrent pas (!) – le bâtiment constitué uniquement de châssis fixes est entièrement climatisé – le nec-plus-ultra de l’époque !

Mais cette petite incohérence ne nuit aucunement à l’appréciation de ce thriller efficace et critique, dans lequel Verneuil pose aussi le problème de l’obéissance aveugle face à l’autorité, théorisé par l’expérience de Milgram2.
2 Etude psychologique sociale menée par Stanley Milgram aux Etats-Unis en 1963, qui teste la capacité des volontaires à obéir à une autorité reconnue (ici l’université de Yale), même si cela implique de faire souffrir autrui. Verneuil intègre l’expérience dans son film pour démontrer la facilité déconcertante avec laquelle des individus peuvent être manipulés et devenir des bourreaux.

L’infatigable Volney apparaît souvent dans le film en train d’enquêter la nuit, sublimé à travers le vitrage de son bureau sobre et moderne qui renvoie l’omniprésence de la ville. Les points lumineux qui s’y reflètent semblent le traverser – sinistre présage de la fin du film.
L’urbanisme de Cergy-Pontoise, contre toute intention architecturale, semble ainsi être le modèle idéal pour représenter visuellement un Etat gangrené par la manipulation et la corruption !

L’urbaniste Bernard Hirsch n’avait sans doute jamais imaginé une telle interprétation de son œuvre !
I … COMME ICARE 1979 Henri Verneuil