SODOM AND GOMORRHA (Sodome et Gomorrhe) 1962 Robert Aldrich
(« Vice et versets » partie 2)
Résumé de la première partie : Robert Aldrich et Ken Adam partent au Maroc pour tourner un péplum épique sur les villes jumelles du vice : Sodome et Gomorrhe.
Si le film dans sont ensemble n’est pas brillant, il est sauvé par les décors et les costumes, ainsi que par une poignée de bons acteurs, qui incarnent avec sérieux des personnages plus vrais que nature.

Steward Granger, dans le rôle de Loth, est l’incarnation parfaite du patriarche autoritaire et dominant (vis-à-vis de son peuple aussi bien que vis-à-vis des ses deux jeunes et jolies filles), passant en un clin d’œil de prêcheur pacifique en héros de western droit et réactionnaire, n’hésitant pas à briser la mâchoire de son adversaire. Sa mèche a dû inspirer Marlon Brando pour son rôle de père de Superman en 1978.

Face à lui, Anouk Aimé interprète de manière aussi impériale que délicieuse la reine Berah. Si elle ne voit pas venir la colère de Dieu qui la détruira, elle reste le personnage le plus clairvoyant, ce qui ne l’empêche pas d’être en même temps sadique et vicieuse.

Dans sa perfidie, elle est surpassée par son frère fêlé Astaroth, qui aimerait être roi à la place de la reine et qui devient sous les traits de l’acteur anglais Stanley Baker – exhubérant de méchanceté – le personnage le plus captivant. On remarque en arrière-plan une tentative du décorateur Ken Adam de faire entrer un peu de nudité dans le film.

La magnifique Anna Maria Pierangeli joue Ildith, une esclave de luxe qui ne croit que ce qu’elle voit. Elle devient la femme dévouée de Loth sans pour autant adhérer à sa croyance, avant de terminer (attention : spoiler) en statue de sel pétrifiée.

Sans oublier les séduisantes filles de Loth (Rossana Podesta et Claudia Mori), qui semblent être condamnées à se jeter à corps perdu dans les bras du premier séducteur injurieux et déshonorant, afin de pouvoir s’émanciper d’un père autoritaire et dominant.

Comme il se doit dans les péplums co-produits en Italie, les costumes fantaisistes mettent en valeur les hommes en jupettes courtes et habillent les nombreuses jolies femmes dans des étoffes qui dévoilent de manière suggestive, plus qu’elles ne cachent.

L’autre grand intérêt du film est l’utilisation remarquable de la ville de Aït-Ben-Haddou, transformée en Sodome par le production designer Ken Adam. Par ailleurs, on remarquera qu’on ne voit qu’une de deux villes dans le film : Sodome. Gomorrhe, quoique mentionnée dans les dialogues, ne semble pas exister ou digne d’intérêt.

Située dans la province de Ouarzazate, Aït-Ben-Haddou est une commune marocaine entièrement construite en terre cuite. Pour Ken Adam, cette ville fortifiée à l’architecture berbère correspond en tout point à l’imaginaire populaire d’une ville biblique.

Il y ajoute un grand portail d’entrée dans un style apparenté, construit par des artisans italiens, aidés des travailleurs locaux au savoir-faire traditionnel.

Cette porte d’entrée de la ville est sans doute l’unique décor créé par Ken Adam qui tient toujours debout et qui fait désormais partie intégrante de la ville (classé patrimoine mondial de l’UNESCO en 1987) !

D’autres parties de la ville, comme la grande place, sont érigées à Cinecitta à Rome. Si « Sodome & Gomorrhe » est la première apparition de Aït-Ben-Haddou à l’écran (et la seule qui montre sa destruction), ce lieu a été utilisé dans plus que 80 autres films, parmi lesquels « Laurence d’Arabie » (1962), « L’Homme qui voulut être roi » (1975), « Le Diamant du Nil » (1985), « Gladiateur »(2000) ou encore la série « Game of Thrones » (saison 3, 2013).

Outre les problèmes de logistique et d’organisation (à l’époque, il n’existe pas de route carrossable pour accéder à Aït-Ben-Haddou), la chaleur accablante fait souffrir l’ensemble de l’équipe. Au bout de quelques semaines, l’actrice Rossana Podesta (dans le rôle de Shuah, une des deux filles de Loth), 28 ans, subit une attaque cardiaque et doit interrompre le tournage pour six semaines.

A son retour, elle tombe à nouveau malade au bout de trois jours. La production décide alors de se replier à Rome pour terminer le tournage dans un climat plus clément. Ken Adam est obligé de reconstruire une partie de la ville à Cinecitta et il trouve des extérieurs à Fiumicino au nord du delta du Tibre, qui ressemblent vaguement au désert marocain. « C’était bien la peine d’aller au Maroc ! » commente de manières laconique un de ses collaborateurs.

Dans le film, la situation de Sodome (et Gomorrhe) se corse quand Loth implore son dieu pour demander pardon (et accessoirement pour le faire sortir de prison, où les perfides sodomites l’ont jeté). Ce dernier dote Loth de super-pouvoirs, qui lui permettent d’aveugler les gardes et de faire sortir sa famille et son peuple sain et sauf de l’enfer de Sodome (à condition -– comme tout le monde le sait – de ne pas se retourner).

Puis, le tout-puissant détruit sans miséricorde la (les) ville(s). La mythologie et les miracles sont des composants essentiels du péplum des années 60 et mettent en évidence à quel point l’univers contemporain des films Marvel et ses superhéros recyclent les mêmes ficelles avec, comme seul apport nouveau, des effets spéciaux plus élaborés par ordinateur.

Pour la destruction de la ville, Ken Adam fait ériger des murs en blocs de mousse qui s’abattent sur les figurants – une technique déjà utilisée par Sergio Leone pour son premier film « Le Colosse de Rhodes ».

Dans une des scènes, un couple d’amants s’embrasse contre un mur qui s’écroule sur eux. Quand la scène est terminée, le couple reste inconscient dans les décombres, car au lieu de coller les blocs entre eux avec de la boue, les artisans décorateurs ont utilisé du ciment !

Lors de l’explosion, les morceaux de ciment ont volé dans tous les sens et assommé les deux figurants. Ils s’en sortent indemnes, heureusement, mais Adam est catastrophé quand il découvre ce vice de (dé-)construction, qui aurait pu provoquer des blessures graves ou des morts. Il fait détruire et refaire tous les murs factices avec de la boue comme liant, pour éviter d’autres accidents.1
1 Ken Adam évoque ses souvenirs de tournages dans FRAYLING, Christopher, Ken Adam – The Art of Production Design, London, Faber & Faber, 2005

L’histoire se termine sur la fin de la belle Ildith et ne conte pas l’autre incident célèbre et sulfureux qui concerne Loth et ses deux filles. Ceux qui ne s’en souviennent pas, peuvent se replonger dans la Bible pour lire la suite : La Genese 19 31-36.
SODOM AND GOMORRHA (Sodome et Gomorrhe) 1962 Robert Aldrich