Tout s’éclaire

(Cet article fait suite à « Un plan presque parfait« )

En 1943, même si personne ne comprend vraiment comment ça fonctionne, le concept du petit point lumineux sur la carte dans le bureau du commissaire apparaît… Et on voit bien que ça marche ! Cette lumière qui clignote frénétiquement affiche désormais en temps réel, le lieu du crime ou la présence d’un malfrat, en un point précis ! Ce procédé nous semble désormais évident, puisque les réseaux de communication sont omniprésents et les caméras de surveillance nombreuses dans l’espace public.

Mais que cela existe déjà en 1943, comme nous le prouve « Picpus », où l’intrépide commissaire Maigret suit en direct les crimes parisiens via un immense plan interactif, est assez étonnant !


Ce lien visuel entre crime et commissariat qui s’exprime à travers le dispositif d’une cartographie intelligente atteint son apogée dans les polars européens des années soixante et soixante-dix.

La très populaire série des krimis (= polars) allemands, d’après l’œuvre d’Edgar Wallace, montre d’immenses plans de Londres dans deux de ses films : « Le Bossu de Londres » (1966, ci-dessus) …

… et « L’Homme à l’œil de verre » (1969, ci-dessus), avec une farandole de lumières surprenantes qui s’abat sur la ville comme un feu (ou bien qui représente simplement les feux rouges ?).


« Le Samourai » (1967) de Jean-Pierre Melville s’avère plus subtil (et véridique). En effet, dans une scène d’anthologie superbement mise en scène, des policiers en civil transmettent en direct …


… la filature d’Alain Delon dans le réseau du métro parisien, au commissaire (François Périer) qui ne quitte pas des yeux la carte de la RATP.

Dans « Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon » (1970) de Elio Petri, le commissariat se transforme carrément en poste de surveillance dystopique de la ville et de ses habitants, avec des brigades volantes qui transmettent des signaux à la carte depuis leurs voitures. Le commissaire peut alors suivre une course-poursuite en temps réel (et le spectateur aussi par la même occasion).


On retrouve ce besoin de surveillance et de contrôle dans deux autres genres de films qui utilisent depuis toujours des cartographies intelligentes : le film de guerre et le film d’espionnage.

Grâce à des immenses cartes interactives, censées illustrer la situation sur le terrain, la guerre est réduite à une série de sigles et de points lumineux. L’état major suit de loin et en sécurité les batailles acharnées. La salle souterraine de commandement dans « Dr Folamour » de Stanley Kubrick (1964) – le fameux War Room conçu par Ken Adam – transforme la menace de guerre nucléaire en un jeu abstrait et banalisé.

De la même manière, les espions troquent très tôt la bonne vieille carte annotée pour des outils digitaux de pointe : en 1962, dans « Goldfinger », James Bond (Sean Connery) utilise déjà un GPS, or ce dispositif ne sera mis en œuvre réellement qu’au milieu des années soixante-dix (pour un usage militaire), avant d’être accessible au plus grand nombre, à partir de 1995.

Aujourd’hui, les réseaux et les ordinateurs permettent le suivi et la surveillance de n’importe qui – n’importe quand – n’importe où, comme le démontre la série « Mission impossible » (ci-dessus), à travers la traque virtuelle du super agent Ethan Hunt (Tom Cruise) et de son acolyte Benji Dunn (Simon Pegg), dans le cinquième volet (2015). Pour y échapper, les deux agents doivent se déconnecter du monde.


Car finalement, l’avenir est à ce qui ne peut être tracé… comme une bonne vieille carte griffonnée avec un crayon sur un papier. Fritz Lang l’avait déjà compris, en 1927, dans sa dystopie « Métropolis« .

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