Vivre dans une pieuvre géante inoxydable

THE SPY WHO LOVED ME (L’espion qui m’aimait) 1977 Lewis Gilbert

« L’Espion qui m’aimait » est le dixième film de James Bond et le sixième avec Ken Adam aux commandes comme décorateur et directeur artistique. Il revient à la série après une absence de six ans, due notamment à sa participation décisive dans la réalisation de « Barry Lyndon », de Stanley Kubrick.
Adam ne crée pas seulement les décors, mais donne aussi une cohérence visuelle au film (ce qui inclut la recherche des lieux de tournage, le choix des voitures, des costumes et autres accessoires).

Roger Moore endosse pour la troisième fois le rôle du super agent, qu’il interprète avec plus de malice et de désinvolture que son prédécesseur, Sean Connery.

Moore fête ses 50 ans pendant le tournage et est au zénith de sa gloire dans cette histoire qui l’oppose à l’armateur Karl Stromberg (Curd Jürgens) – un croisement diabolique et narquois entre Jacques Cousteau et Aristote Onassis.

Stromberg possède plusieurs superpétroliers, un laboratoire marin, et vit – tel le capitaine Nemo – dans un immense bathyscaphe sous la surface des océans. Il s’est construit ainsi la plus sophistiquée des demeures de salauds, jamais vue dans un film de James Bond : Atlantis, une villa sous-marine capable de flotter et de se déplacer sur et sous la mer.

Ken Adam crée avec cette maison-refuge de Stromberg, une de ses pièces maîtresse : contrairement au Nautilus de Jules Verne, Atlantis n’a pas la forme d’un sous-marin et ne se déplace que verticalement : cachée au fond de l’océan, cette impressionnante pieuvre géante métallique peut à tout moment refaire surface.

En 1975, pour imaginer le design adéquat de ce refuge exceptionnel, Ken Adam a voyagé jusqu’à Okinawa pour visiter « L’exposition internationale des océans », afin d’admirer la maquette d’Aquapolis, ville aquatique pleine de promesse (en haut, à gauche), capable de flotter sur l’eau et de résister à la submersion, conçue par l’architecte japonais Kiyonori Kikutake. Arrivé sur place, il est déçu de découvrir que le projet est complètement statique ! Pire encore, il ressemble à une banale plateforme pétrolière. Néanmoins, les premières esquisses pour le film (à droite) s’inspirent de son principe.

Commence alors la recherche des lieux de tournage. Adam arpente la Sardaigne en compagnie de Lewis Gilbert et loge à l’hôtel Cala di Volpe, construit en 1962 par Jacques Couëlle. Il découvre ainsi l’œuvre exceptionnelle de cet architecte français.

Ce dernier manipule, tel un sculpteur, les formes souples et rondes qui feront la signature principale du design de l’Atlantis : « Couëlle a créé des villas absolument incroyables – des sculptures rocheuses en béton, qui s’insèrent dans l’environnement. J’ai alors expérimenté pour la première fois de ma carrière, les formes courbes et sculpturales ! » 1
Il n’est pas étonnant que l’hôtel lui-même devienne, dans le film, la demeure temporaire de James Bond.

1 dans Christopher Frayling : Ken Adam and the Art of Production design, Faber & Faber, Londres, 2005, page 180.

Atlantis est développée comme une mini-ville autonome, capable d’abriter jusqu’à cent personnes. La construction contient les appartements privés de Karl Stromberg, des laboratoires pour étudier la flore et la faune sous la mer, un immense aquarium, des cales pour plusieurs hors-bords, des plateformes de décollage pour hélicoptères et un bassin plein de requins. Des couloirs et des ascenseurs au design futuriste relient les différentes parties.

L’immense salle à manger, équipée d’une grande cheminée et d’alcôves avec statuettes, est l’unique pièce rectangulaire dans un environnement tout en courbes et rondeurs. Aménagée de manière très classique, elle est dominée par une imposante table de 18 mètres de long !

Les murs sont décorés avec de grandes tapisseries – reproductions d’Andrea Mategna, Carpaccio ou encore Piero della Francesca – qui s’escamotent pour laisser apparaître des vues saisissantes sur l’extérieur, notamment quand l’Atlantis émerge des flots ! L’idée des toiles qui se soulèvent pour offrir une vue directement sur l’eau est une astuce ingénieuse de Ken Adam pour immerger ainsi le spectateur.

Non sans humour, une reproduction de la « La naissance de Vénus » de Botticelli fait face à Stromberg… et dissimule la vue sur le bassin de requins, où finissent les visiteurs indésirables.

En contraste avec ce décor classique, les appartements privés de Stromberg sont meublés de manière contemporaine. La jolie espionne Anja Amasova (Barbara Bach) met en valeur une chaise en plastique blanc modelée par Ken Adam, d’après le fauteuil Elda de Joe Colombo (1963) …

… et on peut apercevoir dans le niveau inférieur, des banquettes métalliques argentées et emboîtables « Pantonova » (1971), du designer danois Verner Panton.

La petite maquette (20 x 36 cm), que l’agent 007 admire dans le film, a été vendue en 2001 par Christie’s pour 9000 euros !

La taille de la maquette utilisée pour les scènes tournées en extérieur est beaucoup plus imposante. Derek Meddings, responsable des effets spéciaux, explique : « Le grand problème avec l’eau est qu’on n’arrive pas à réduire la mer à la taille de la maquette ! L’eau reste toujours à la même échelle, ce qui rend très difficile l’utilisation des maquettes de bateaux dans un film. On voit tout de suite qu’il y a un problème d’échelle, entre la taille des vagues, les gouttes d’eau et le bateau … » 1

1https://theasc.com/articles/models-and-miniatures-for-the-spy-who-loved-me

Le directeur de la photographie, Claude Renoir (à droite en tenue de plage), neveu du cinéaste Jean Renoir, doit jongler avec cette problématique pour filmer de manière convaincante l’immersion de l’Atlantis.

Une autre séquence difficile à filmer a été le départ en hélicoptère depuis l’Atlantis, filmé d’abord à partir de la même maquette (avec un petit hélicoptère téléguidé), puis dans un véritable hélicoptère dans les studios de Pinewood à Londres, à l’aide d’ingénieuses « matte paintings » (des morceaux du décor sont peints sur verre et utilisés comme cache) réalisées par Alan Maley.

Comme pour chaque demeure de salauds des films de James Bond, l’Atlantis sera – malheureusement – détruite et finira engloutie à près de 20 000 lieux sous les mers …

THE SPY WHO LOVED ME (L’espion qui m’aimait) 1977 Lewis Gilbert

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