La maison qui regarde

BODY DOUBLE 1984 Brian De Palma

Le thriller érotique « Body Double » est conçu autour de l’étonnante Chemosphere, construite en 1960 par John Lautner. Cet architecte américain non-conformiste a été très influencé, au début de sa carrière, par le design des premiers films de James Bond. Ce qui a eu pour résultat que les films se sont ensuite inspirés de ses villas : l’excentrique Elrod House (construite en 1968 par Lautner) apparaît, par exemple, dans « Les Diamants sont éternels » (1971), le septième opus de la série.

La Chemosphere qui surplombe Los Angeles ressemble à un champignon accroché à une montagne, ou encore à un vaisseau spatial posé sur un cylindre en béton creux, d’une hauteur de 9 mètres.

Avec son pourtour vitré, elle suggère le poste de commandement d’un super-méchant. Il n’est pas étonnant que la villa ait déjà fait une première apparition, deux ans seulement après sa construction, …

… dans la série télé d’anticipation « The Outer Limits ». Dans l’épisode « The Duplicate Man », situé en 2025 (on y est presque !) la Chemosphere est la demeure du Capitaine Emmet (Sean McClory), qui cache chez lui un dangereux extra-terrestre, le Megasoid. Les extérieurs sont filmés sur place, tandis que les intérieurs sont reconstitués en studio.

La Chemosphere apparaît également dans « Un poisson nommé Selma » (1996), épisode de la série télévisée d’animation Les Simpson, où le bâtiment est à vendre.

La position dominante de la Chemosphere est très bien exploitée dans « Body Double » à travers l’histoire d’un acteur sans le sou, Jake Scully (Craig Wasson), qui doit garder cette maison pour un ami riche.

En observant à distance ses voisins avec une longue-vue et notamment une jolie femme qui réveille ses instincts de voyeur, il devient sans le savoir la victime d’une mise en scène machiavélique.

Comme à son habitude, Brian De Palma pille ostensiblement son maître Alfred Hitchcock (dans « Fenêtre sur Cour » et « Sueurs froides »), dont il ré-utilise les ficelles avec moins de bonheur que dans ses œuvres précédentes, « Obsessions » (1976) et « Pulsions » (1980).

La mise en abyme de la machine hollywoodienne (le film plonge assez maladroitement dans la fabrication des films de série B – plutôt Z – et l’industrie pornographique) tourne court, notamment par l’absurdité de certaines scènes trop caricaturales et les décors et costumes d’un goût plus que douteux, mais assez représentatif des années quatre-vingt : « C’est le grand film malade de De Palma au sein d’une œuvre déjà très malade », selon Olivier Père1.

1https://www.arte.tv/sites/olivierpere/2016/01/22/body-double-de-brian-de-palma

Le film n’est pas non plus porté par l’acteur principal Craig Wasson, qui joue avec brio un acteur médiocre, tout en restant médiocre lui-même au long du film. Mélanie Griffith, Deborah Shelton et Gregg Henry font ce qu’ils peuvent dans des rôles très schématiques et découpés à l’emporte-pièce. L’intérêt principal du film reste donc la villa de John Lautner, même s’il est regrettable de la voir seulement de nuit et avec un intérieur transformé – sans doute une reconstitution en studio.

Le fameux lit tournant est une invention pour le film, ainsi que les tonalités noires et grises avec la présence de matériaux (cuir, satin, métal brossé) d’une tendance ambiguë, qui couvrent lit, sol et murs.

A l’origine (ci-dessus), l’aménagement intérieur du Chemosphere était plus nuancé, clair et accueillant.

Ces libertés du production designer Ida Random (comme l’affreux canapé en cuir noir qui ondule en continu sur le périmètre du salon) sont toutefois assorties à l’univers du cinéma porno, tourné à la va-vite par des types peu recommandables. (Même si dans le film, le propriétaire des lieux n’a rien à voir avec cette industrie …).

La Chemosphere est une construction en métal et bois assez simple, qui se développe sur un seul niveau de forme octogonale de 205 m2. L’ensemble des pièces se trouve sur ce même niveau qui flotte, tel un nid d’oiseau, au-dessus d’une colline qui plonge à pic vers Los Angeles. Faute de moyens, le commanditaire Leonard Malin a construit la maison lui-même avec l’aide de deux ouvriers, avec des moyens sommaires (en dehors du pilier en béton qui tient l’ensemble de l’ouvrage).

En 1998, le nouvel acquéreur de cette villa insolite, l’éditeur allemand Bendikt Taschen, entame d’importants travaux de rénovation et de conservation. En 2000, il demande à l’architecte avant-gardiste OMA / Rem Kooolhaas une extension sous forme de boite abstraite, qui sort de manière spectaculaire de la montagne. Un projet ambitieux, qui ne sera pas réalisé.

Même sans cette extension, la Chemosphere reste une des villas les plus remarquables et futuristes de la ville de Los Angeles.

BODY DOUBLE 1984 Brian De Palma

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