AVRIL ET LE MONDE TRUQUE 2015 Franck Ekinci et Christian Desmares
DILILI A PARIS 2018 Michel Ocelot
Dessine-moi … la tour Eiffel ! (2)
Comme on a pu voir précédemment, les dessins animés américains utilisent essentiellement la tour Eiffel comme accessoire indispensable mais lointain, pour situer leur intrigue à Paris.
Mais ça s’arrête très souvent là.


Voici donc deux exemples de films d’animation français, qui contredisent ce traitement expéditif de la tour.
« Avril et le monde truqué » exploite avec beaucoup de bonheur le monde de Jacques Tardi, qui est crédité comme créateur de l’univers graphique de ce film d’animation tourné par Ekinci et Desmares.

Tardi est un illustrateur prolifique de bandes dessinées assez sombres et loufoques (d’après les romans de Daniel Pennac, Céline, Jean Vautrin ou Léo Malet, entre autres) et l’inventeur des aventures d’Adèle Blanc-Sec, situées à la Belle Epoque.


Le film reprend son intérêt pour cette période, en plongeant le spectateur dans un monde parallèle ayant échappé à la Première Guerre mondiale, mais qui ne s’en sort pas mieux pour autant… entre asphyxie au charbon et disparition à gogo d’inventeurs et de scientifiques. Le dernier arbre qui a survécu au désastre écologique est soigneusement conservé au cœur du Grand Palais.

L’intrigue se déroule dans un Paris gris et morose – qui ressemble beaucoup à l’original – mais diffère par certains détails insolites : le meilleur exemple est… le dédoublement de la tour Eiffel !

Ce dédoublement a des raisons fonctionnelles : la tour est ici une gare importante qui assure la liaison Paris-Berlin et ses deux piliers supportent les câbles d’un train suspendu.

Les cinéastes Ekini et Desmares vont encore plus loin dans l’utilisation de la symbolique iconique que représente la tour Eiffel : Avril, fille de deux scientifiques clandestins poursuivis par la police, possède une boule à neige avec une mini-double-tour-Eiffel-gare à l’intérieur, qui ne la quitte jamais. Connaissant l’attachement de sa fille pour cet objet, sa mère y injecte directement le sérum qui attire toutes les convoitises de leurs adversaires. Cette boule devient alors l’enjeu central du film.

L’idée de transformer la tour Eiffel en gare avant-gardiste, par simple dédoublement, se révèle intelligente et drôle. Une ré-interprétation qui fait penser aux structures futuristes imaginées dès 1914 par Sant’Elia (architecte italien du mouvement futuriste) pour sa Città Nuova.

Le lancement d’une fusée souterraine – à la fin du film – détruit l’une des deux tours et prive en conséquence les parisiens de leur gare centrale, mais restitue ainsi la silhouette bien connue de la ville de Paris : ouf !
« Dilili à Paris » de Michel Ocelot est, comme le titre l’indique, également situé dans la capitale, et approximativement aussi à la Belle Epoque.

Comme pour son grand succès « Kirikou », Michel Ocelot semble ouvrir « Dilili à Paris » sur la vue d’un village canaque, or…

… avec le recul de la caméra, apparaissent spectateurs et… la tour Eiffel. Nous nous trouvons au cœur d’un zoo humain, installé au jardin d’acclimatation qui, sous couvert de vulgarisation ethnographique, est censé démontrer la prétendue infériorité des populations exhibées, afin de légitimer, à la fois la nécessité de leur apporter la civilisation et la présence coloniale.

Curieusement, au lieu de porter un regard critique vis-à-vis de ce spectacle jugé désormais révoltant, le film d’Ocelot l’assimile à une joyeuse colonie de vacances, dont la petite Dilili, surdouée et maline, s’extrait sans problème (« son engagement est terminé »). Elle rencontre par la suite un beau et gentil garçon et, avec une facilité déconcertante, tout le gratin parisien : Marie Curie, Marcel Proust, Henri Pasteur, Colette, Toulouse-Lautrec, Sarah Bernard et même …

… Gustave Eiffel en haut de sa tour (… qui penche curieusement !)

Il est aussi question d’une histoire d’enlèvement (ici des enfants, et non des scientifiques), avec des méchants facilement repérables à leurs boucles dans le nez.

La tour Eiffel s’improvise à nouveau en gare, cette fois-ci pour dirigeables, baignée dans le chant déchirant de la diva Emma Calvé, autre amie de Dilili.


Si l’hommage à la ville lumière est éblouissant, notamment à travers une multitude de dessins magnifiques qui mettent en valeur les façades, cette histoire est à la fois trop ambitieuse et trop simpliste pour nous emporter vraiment.
AVRIL ET LE MONDE TRUQUE 2015 Franck Ekinci et Christian Desmares
DILILI A PARIS 2018 Michel Ocelot