LIMBO 2023 Ivan Sen
« Limbo » 1 est un film noir australien qui se passe dans la ville de Coober Pedy, capitale mondiale de la production d’opale dans l’outback du sud du pays. Cette bourgade très reculée se trouve dans un désert inhospitalier entre Adélaïde (850 km) et Alice Springs (680 km). La ville a été fondée après la découverte des mines d’opale en 1915, mais les Aborigènes y vivaient déjà depuis bien plus longtemps.
1A ne pas confondre avec « Limbo », film américain de Marc Robson (1972), ni avec « Limbo », film norvégien de Maria Sodahl (2010), ou encore avec « Limbo », film argentin d’Ivan Noel (2014), ou bien avec « Limbo », film hongkongais de Soi Cheang (2021) et encore moins avec « Limbo », film britannique de Ben Sharrock (2020).

Depuis que la Stuart Highway a été goudronnée sur la totalité de son trajet en 1987 – de Darwin en passant par Alice Springs jusqu’à Adélaïde – Coober Pedy est devenu une destination touristique pour ses nombreux habitats troglodytiques remarquables.

C’est dans ce trou perdu qu’est envoyé le policier Travis Hurley (Simon Baker), pour enquêter sur une affaire non-élucidée : la disparition d’une jeune fille aborigène, qui remonte à vingt ans. Hurley semble avoir peu de chance de faire la vérité après tant d’années.

Ce film policier énigmatique et nuancé met en évidence les inégalités qui règnent encore entre blancs et aborigènes dans ces régions reculées, s’exprimant par le mépris et la supériorité des uns, se traduisant par la dépossession et la souffrance des autres.

Dans le paysage lunaire qui entoure la ville, composé de rochers et collines aux tonalités allant du rouge brique au blanc immaculé, flotte un sentiment d’abandon et de désolation – renforcé par le parti pris d’une photographie contrastée en noir et blanc (qui accentue le blanc de la roche). Les références au western sont bien présentes, même si le cinéaste Ivan Sen évite les scènes d’action pour imposer un rythme impassible et une ambiance inquiétante.

La présence et l’activité humaine incessantes pour trouver l’opale ont laissé des milliers de trous dans le paysage, le transformant littéralement en gruyère suisse (environnement assez dangereux par ailleurs pour les randonneurs imprudents). Ce décor surnaturel a déjà été mis en scène dans de nombreux films, parmi lesquels « Mad Max 3 » (1985 – un monde apocalyptique), « Red Planet » (2000 – la planète Mars) et « Priscilla, folle du désert » (1994 – la traversée délirante de l’Australie par un bus rempli de Drag Queens).

Le motel Limbo où loge le détective Hurley est creusé dans la roche, comme un grand nombre d’habitations de la ville. Un simple auvent en bois soutenu par quelques poteaux fait office d’entrée.

Ces grottes permettent de vivre à une température constante sans climatisation et d’échapper ainsi au climat torride qui règne en été dans la région, dépassant souvent les +40°C. Le motel Limbo surprend donc par la rugosité et la froideur de ses murs taillés directement dans la roche, qui contrastent avec un mobilier lisse et banal. Et – bien sûr – par le fait qu’aucune vue n’est proposée : les chambres sont sans fenêtre afin de protéger de la chaleur écrasante !

Beaucoup d’habitants de Coober Pedy se sont installés à moindre frais dans les mines abandonnées des alentours. En parallèle, les entreprises locales proposent la construction d’habitats troglodytiques (salon, salle de bains, trois chambres) pour le prix et la surface d’une maison classique (construction en bois, sans étage).

L’enquête mène Hurley à l’église de la ville, également creusée dans la roche. Le film joue sur le contraste entre les rues désolées, dépourvues de végétation et brûlées par le soleil omniprésent et les grottes sombres, creusées dans la roche, mais meublées de manière conventionnelle.

A côté des habitations troglodytes insolites, on trouve aussi des maisons traditionnelles en ossature bois à un étage. Elles sont posées sur un sol sableux et aride, hostile à toute forme de végétation (en dehors de quelques touffes de plantes de désert). Aucun arbre ne pousse dans la région.

Les investigations du détective piétinent. Hurley se retrouve face à un mur de silence où les blancs s’avèrent taiseux et les aborigènes méfiants. Il a lui-même déjà connu des jours meilleurs et se drogue pour tenir le coup. Mais il avance avec insistance et gagne peu à peu la confiance de la famille de la victime à laquelle il s’attache. Simon Baker (« The Mentalist ») donne une interprétation convaincante et intériorisée en flic désabusé.

La quête de Hurley est ici plus importante que l’aboutissement de son enquête, avec la question sous-jacente du devenir de cette région, si hostile et cependant habitée. Ivan Sen est lui-même un descendant du peuple aborigène Kamilaroi. La question des peuples premiers d’Australie est au centre de son œuvre, comme en témoignait déjà son premier film « Sous les nuages » (2002), ou encore « Toomelah » (2011), plusieurs fois récompensé.

Avec « Limbo », il tourne un polar quasi métaphysique dans une ville qui n’est définitivement pas comme les autres, et qui fait froid dans le dos. Son approche stylistique extrêmement soignée évite pourtant de tomber dans une esthétisation à outrance et surtout, de perdre de vue son regard critique.
LIMBO 2023 Ivan Sen