Course poursuite à travers l’espace temps

JOHN WICK CHAPTER TWO (John Wick 2) 2019 Chad Stahelski

SHERLOCK JUNIOR 1924 Buster Keaton

Une ville américaine, la nuit, filmée par un hélicoptère (ou un drone) : image classique, souvent utilisée et – à priori – peu inspirée pour l’ouverture d’un film.

La petite pointe illuminée du Chrysler Building (vers la gauche) et celle de l’Empire State Building (au centre) ne laissent aucun doute. Le deuxième chapitre des aventures du tueur à gages John Wick commence là où se termine le premier film : New York City.

Pourtant, la colorimétrie très contrastée et la prégnance des enseignes dans le deuxième plan évoquent plutôt l’ambiance du Los Angeles futuriste de « Blade Runner ».

La vue de dessus qui suit la ligne droite d’une route, rappelle le lien étroit qu’entretient désormais le film d’action contemporain avec le jeu-vidéo, devenu la référence par excellence. Le bruit d’une moto et de voitures qui roulent à vive allure annonce une course-poursuite qu’on ne voit pas encore.

Ou bien s’agit-il seulement de la bande-son d’un film projeté sur l’un des murs d’un immeuble proche ?

Le film montre un petit extrait de la course-poursuite la plus spectaculaire et effrénée du cinéma muet, interprétée par Buster Keaton juché sur le guidon d’une moto dans « Sherlock Jr. », en 1924 !

Il traverse ainsi toute la ville (très probablement Los Angeles) en évitant les multiples dangers de la route. C’est un film muet bien entendu, mais les bruits qui accompagnent cette très brève séquence de 1924, s’accordent parfaitement avec l’image de « John Wick 2 ».

Un travelling vers le bas montre qu’il y a bien un dédoublement entre la course-poursuite des images projetées et ce qui se passe sur la route en-dessous.

Au moment où Buster Keaton est catapulté de sa moto, traverse une fenêtre et atterrit à l’intérieur d’une maison, un motard tombé dans la rue récupère son engin et continue sa fuite, poursuivi par John Wick dans une Chevrolet Chevelle 1970.

Si le héros John Wick (Keanu Reeves) n’utilise pas ici sa Ford Mustang fétiche (objet qu’il n’a pas encore récupéré et dont le vol a déclenché les scènes de violence et d’action du premier volet), le personnage comme la voiture font explicitement référence à Frank Bullitt (Steve McQueen) et à la Ford Mustang 1968 qu’il conduit comme un fou dans les rues de San Fransisco, dans « Bullitt » (1968).

La chasse se termine finalement assez rapidement sur Broadway (entre la 42ème et la 40ème rue) quand la Chevrolet heurte le motard pour de bon.

Chad Stahelski, le metteur en scène du film de 2019, a lui-même été cascadeur (il a doublé, entre autres, Keanu Reeves dans « Matrix ») avant de rencontrer un immense succès avec sa quadrilogie « John Wick ». En un clin d’œil rapide (la séquence dure à peine deux minutes), il rend hommage à Buster Keaton et aux origines du film d’action avec poursuites et cascades.

La ville devient à la fois terrain de jeu contemporain et décor stylisé (l’artère important de Broadway est étrangement vide – un peu comme dans un jeu vidéo) que Stahleski recompose à sa guise : le coin de rue avec le film projeté au-dessus d’un magasin de la chaine Victoria’s Secret, qui baigne la rue dans une lumière magenta artificielle, a été tourné dans la rue Sainte- Catherine à Montréal (à 600 km de distance !) et inséré dans les autres parties, tournées à New York.

Conscient de son contenu autoréférentiel, le film exploite ainsi les murs de la ville devenue écran, et, en quelques secondes, rapproche cent ans de cinéma et de courses poursuite de manière saisissante. Une puissante mise en abyme !

JOHN WICK CHAPTER TWO (John Wick 2) 2019 Chad Stahelski

SHERLOCK JUNIOR 1924 Buster Keaton

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