LIEBELEI (Une histoire d’amour) 1932 Max Ophüls
MASKERADE IN WIEN 1934 Willi Forst
SISSI 1955 Erich Marischka
Il y a des villes dont la représentation filmique est constamment liée à un thème ou un genre spécifique : Paris, Venise et Vienne sont ainsi très souvent le décor d’histoires d’amour.

Mais chacune de ces trois villes est associée à une tonalité différente de l’amour :
Paris représente la légèreté, la frivolité et l’insouciance, un lieu où tout semble possible et où (notamment) des femmes sages et réservées se métamorphosent pour faire sensation sur le genre masculin (Greta Garbo dans « Ninotschka », 1939 ; Audrey Hepburn dans « Sabrina », 1954).
Venise est le décor d’un désir amoureux bien plus sombre et mélancolique, qui s’exprime par la perte, le regret ou la frustration (Dirk Bogarde dans « Mort à Venise », 1971 ; Katherine Hepburn dans « Vacances à Venise », 1957 ; Donald Sutherland dans « Fellini-Casanova », 1976).

Et Vienne … ? Sa représentation cinématographique est associée à des comédies et drames romantiques, qui comportent un regard nostalgique fin de siècle, mettant en scène une monarchie vieillissante, mais toujours impressionnante.
Cette image romantique a été rendue populaire par d’innombrables opérettes et pièces de théâtres plus ou moins légères qui se situent à Vienne et ont été adaptées au cinéma.

Avec des séquences incontournables de bals somptueux et élégants pendant lesquelles s’ennuie l’épouse d’un riche baron / industriel / dignitaire. Qui va logiquement tomber amoureuse d’un jeune officier / soldat / gigolo fougueux et libertin sans le sou, mais (en général) animé des meilleures intentions de rendre cette femme heureuse (au moins pour une nuit) …
… ou bien, des films où une süsses Mädel (une jeune et jolie ingénue) des quartiers pauvres rencontre dans une guinguette du Prater (l’emblématique parc de la ville avec sa grande roue, construite en 1851), ou sous les arbres du Stadtpark, un officier beau et aristocratique, déjà destiné à épouser une femme de son rang. Les jeux amoureux peuvent donc se dérouler et, après moult péripéties, se conclure, soit en conte de fée avec l’improbable fin heureuse où le couple survit malgré les nombreux obstacles (parmi lesquels notamment la différence de classe sociale), soit en mélodrame déchirant (et plus réaliste) ou l’amour impossible reste … impossible (avec en option le suicide / décès d’un ou des deux protagonistes).

Curieusement, cette image d’une Vienne résolument romantique a été surtout établie ailleurs que dans la ville :
– d’abord à Hollywood, avec Erich von Stroheim, lui-même né à Vienne, et sa sulfureuse trilogie viennoise (composée de « La Veuve joyeuse », 1925 ; « La Symphonie nuptiale », 1926 et « Queen Kelly », 1928 – des films ambitieux et irrespectueux, malheureusement en partie massacrés par les producteurs et la censure),
– puis avec l’Allemand Ernst Lubitsch (« Le Lieutenant souriant », 1931 ; « La Veuve joyeuse » (encore elle !), 1934),
– sans oublier les adaptations des œuvres de Stefan Zweig et d’Arthur Schnitzler, par l’Allemand Max Ophüls, qui tourne ses rêveries viennoises plutôt en studio à Berlin (« Liebelei », 1933) ou à Paris (« La Ronde », 1950).

Mais le Wiener Film devient aussi un genre à part dans des productions allemandes et autrichiennes entre 1920 et 1960, avec de nombreux films (pour la plupart des comédies légères et dispensables), qui célèbrent l’unique art de vivre viennois, autour des palais, kafféehäuser, salles de bal, parcs et jardins, en général sur fond historique et de préférence au dix-neuvième siècle. L’apogée du courant se situe sous le régime nazi, qui colporte ainsi militarisme et vertu des mœurs, à travers une vision nostalgique de la monarchie.

« Maskerade in Wien » (1934), « Hotel Sacher » (1939), ou « Bel Ami » (1939) font partie des meilleurs représentants de ce courant très populaire, pour la plupart mis en scène par l’omniprésent et efficace Willi Forst. Le thème central est toujours l’amour – sincère ou frivole, passager ou éternel, tragique ou comique, autour de quiproquos rocambolesques et de marivaudages à tous les étages.

Dans « Maskerade in Wien », c’est la publication du dessin d’une belle inconnue (uniquement vêtue d’un loup qui cache son visage et d’un manchon en fourrure), dans un quotidien viennois, qui sert de point de départ à une avalanche de quiproquos entre ceux qui croient reconnaître le manchon et ceux qui pensent reconnaître les formes de la belle … Forst est assez malin pour ne jamais montrer le fameux dessin, pourtant vecteur de l’intrigue (sans doute aussi pour éviter des problèmes de censure).

Malgré le goût de l’interdit et le mépris des bonnes mœurs qu’évoquent ces films, ils rétablissent dans leur dénouement, après quelques valses, l’ordre et la convenance immuables : les bons vont se marier et les mauvais seront punis.

Les extérieurs sont évoqués à travers des maquettes approximatives sous une épaisse couche de neige artificielle (crème chantilly ?) … Peu importe ces négligences, la magie du Wiener Film opère quand même !
Plus rarement, le Wiener Film est aussi capable de montrer un visage plus critique et réaliste de la société viennoise, comme l’atteste le premier chef-d’œuvre de ce courant : le poignant « Liebelei », de Max Ophüls, joue la carte de la tragédie avec la jeune et jusqu’alors inconnue Magda Schneider2, qui incarne ici la süsse Mädel (la belle et sage ingénue des couches populaires).

« Liebelei » est tiré de la pièce « Amourette » d’Arthur Schnitzler et tourné en parallèle avec une version française intitulée « Une histoire d’amour » en studio à Berlin. Le film capte à merveille l’atmosphère de la ville de Vienne avec des moyens aussi simples qu’efficaces : entraînée par son amie Mizzi (Luise Ullrich), la timide Christine (Magda Schneider) rencontre son prince charmant, le beau lieutenant Fritz Lobheimer (Wolfgang Liebeneiner), dans un des nombreux Kafféehäuser, élément essentiel du savoir-vivre à Vienne, …


et c’est dans un autre de ces cafés / bistros typiques de la ville, qu’ils vont danser pour la première fois une de ces valses indispensables du Wiener Film.


Les rues de Vienne sont esquissées dans quelques extérieurs nocturnes, tous tournés en studio, qui évoquent efficacement les ruelles de la capitale avec ses arcs et passages caractéristiques.


Contrairement à la plupart des films de ce courant, « Liebelei » reste fidèle à la critique acerbe de son auteur, qui dénonce l’archaïsme et l’arrogance d’un régime rétrograde. Au cours du film, un Ehrenduell (duel d’honneur), oppose le jeune Fritz au baron Eggersdorff (Gustav Gründgens), puisque ce dernier le soupçonne (avec raison) d’avoir une affaire avec sa femme.

Fritz, qui a désormais trouvé le vrai amour avec Christine, est obligé de donner satisfaction à Eggersdorff, malgré le fait qu’il a déjà rompu avec la baronne. Afin d’obtenir réparation, la tradition veut que les adversaires s’affrontent à l’aube avec des revolvers. Le baron, en tant qu’offensé, a droit au premier tir et tue sur le champ le jeune officier.

La détresse de Christine est insurmontable : elle ne déplore pas seulement la mort de son amant, mais aussi le fait que ce décès est arrivé à cause d’une autre femme ! Magda Schneider, qui interprète magnifiquement ce personnage sincère et pur, devient grâce a ce film, une vedette incontournable du cinéma allemand des années 1930 et 19403.

Le Wiener Film trouve son apogée kitsch avec la trilogie autour du personnage de « Sissi » (Ernst Marischka, de 1955 à 1957) où la merveilleuse Romy Schneider incarne Élisabeth de Bavière, future impératrice d’Autriche …

… dans une surenchère de clichés, de bons sentiments sirupeux et de décors colorés, qui empruntent leur inspiration autant aux fameux gâteaux autrichiens qu’à la réalité des lieux (pourtant déjà assez faste).

Le film a au moins le mérite de nous montrer, enfin, quelques vues véritablement filmées à Vienne dans sa dernière partie. Comme cette brève mais magique vision des parterres de fleurs rouges devant le château de Schönbrunn, …


… ainsi que quelques monuments indispensables (la Karlskirche, le Äussere Burgtor, etc.), lors du trajet de la future reine en carrosse pour atteindre sa cérémonie de mariage, …

… qui est filmée dans la Michaelerkirche (construite entre 1219 à 1221, l’intérieur est décoré plus tardivement dans un style lourdement baroque), véritable lieu où a été célébré le mariage de la reine Élisabeth, le 24 avril 1854.

Deux suites de « Sissi » seront tournées dans la foulée et Romy Schneider luttera toute sa vie pour se défaire de son image de princesse parfaite.
Si ces films ne sont pas tous des chefs-d’œuvre, ils ont le mérite d’avoir forgé dans la conscience collective une image romantique de Vienne qui perdure jusqu’à nos jours.
1La première partie de « La Veuve joyeuse » se déroule dans le royaume imaginaire de Marsovie (Pontévédro dans l’original), substitut du royaume de Montenégro (aujourd’hui en Serbie), avant de passer à Paris. Il contient pourtant tous les ingrédients et clichés du Wiener Film.
2Magda Schneider, célébrité complexe et controversée a fait partie de la « Gottbegnadeten-Liste » (liste de ceux « qui bénéficient de la grâce de Dieu »), établie par le régime nazi pour désigner les meilleurs et plus méritants artistes du pays. Elle a été aussi une invitée régulière au « Nid d’aigle », la maison d’Adolf Hitler dans les alpes bavaroises, située à seulement 600 mètres (vol d’oiseau) de sa maison. Même si les rumeurs d’une affaire entre Magda Schneider et le Führer semblent infondées, sa proximité avérée avec le régime nazi ne l’a pas empêchée de continuer sa carrière après la guerre et de placer sa fille Romy Schneider dans des production de prestige, afin d’en faire également une vedette.
3Notons au passage que « Liebelei » a eu un remake (oubliable) en 1958 sous le titre « Christine » (de Pierre Gaspard-Huit) avec Romy Schneider, dans le rôle interprété par sa mère dans l’original. Lors du tournage, Romy Schneider fait la rencontre (et va se fiancer) avec l’acteur Alain Delon , qui joue dans le film son prince-charmant.
LIEBELEI (Une histoire d’amour) 1932 Max Ophüls
MASKERADE IN WIEN 1934 Willi Forst
SISSI 1955 Erich Marischka
Une réflexion sur “Magda et Romy Schneider à Vienne”