La salle de bain est à la fois très présente et très absente au cinéma. Absente, puisque certains gestes nécessaires pour l’hygiène ne se montrent pas. Mais ces gestes relevant de l’intime sont aussi très présents, puisque la salle de bain est une formidable excuse pour montrer une actrice (moins souvent un acteur) dans son plus simple appareil.
Le spectateur devient ainsi voyeur.

Buster Keaton et Edward F. Cline l’ont déjà très bien compris dès 1920, dans « La Maison démontable » : Sibyl Seely, dans le rôle de la femme de Buster, est par deux fois dérangée dans sa toilette : une première fois quand elle prend son bain, …


… une deuxième fois quand Buster installe la cheminée sur le toit, glisse à l’intérieur et atterrit dans la baignoire, pendant que Sibyl prend sa douche, un peu surprise par l’intrusion de son mari.
Historiquement, les premières salles de bain apparaissent autour de 1750, mais en 1900, moins de 5% des logements urbains disposent d’une pièce dédiée à l’hygiène corporelle.

Cela n’empêche pas le cinéma de s’intéresser à ses prémices, en installant simplement une baignoire amovible dans une pièce. On voit ainsi la comtesse de Lyndon (Marisa Berenson) prendre son bain, habillée, comme il se doit en 1760, dans « Barry Lyndon » (1978) de Stanley Kubrick …

… ou encore le prince de Salina (Burt Lancaster), dans « Le Guépard » (1963) de Lucchino Visconti, qui se détend après avoir effectué un long et poussiéreux voyage dans une salle de bains sans eau courante de 1860.


Les bains privés de cette époque sont un privilège de riches, ce qui n’empêche pas que le prince soit dérangé par un prêtre (très embarrassé) qui lui rend visite : tout prince qu’il est, il accueille l’homme d’église avec nonchalance et sans aucune gêne.

Le péplum des années trente s’empare aussi de la question des soins corporels à des fins voyeuristes et sous prétexte de dénoncer la décadence de l’empire romain.

Dans l’épopée christique « Le signe de la croix » (1932), de Cecil B. DeMille, première adaptation du roman « Quo Vadis ? » de Henryk Sienkiewicz (1895), l’impératrice Poppée (Claudette Colbert) prend des bains de lait d’ânesse dans un immense bassin.

Joseph L. Mankiewicz s’en souviendra pour sa version de « Cléopâtre » de 1963, avec un bain presque modeste, où, malgré les fastes de son règne, …

… les seins d’Elizabeth Taylor ne sont plus entourés de lait d’ânesse, mais simplement d’eau – artificiellement bleutée pour éviter trop de transparence et ainsi des problèmes avec la censure.
Le western ne se pose pas souvent la question de l’hygiène chez les cow-boys. Pourtant, les longues chevauchées dans la poussière nécessitent sans doute un minimum de décrassage de temps à autre …

Sam Fuller donne dans ses « Quarante Tueurs » (1957), une image assez réaliste des bains publics et à ciel ouvert de l’époque, où les bassins sont alignés derrière une simple palissade en bois qui assure un minimum d’intimité. Conscience environnementale oblige, « Ne gâchez pas l’eau » (!) est inscrit en grandes lettres sur le mur.

Cette séquence est accompagnée d’une chanson mélancolique, chantée par un cow-boy qui joue de la guitare dans un coin, pendant que d’autres sont assis en haut de la palissade …

… en train de reluquer les hommes qui se lavent. Ce qui confère une note homo-érotique à la scène, plutôt audacieuse, et très en avance pour un film de 1957 !
Dans « Le Bon, la Brute et le Truand » (1966) Sergio Leone, s’intéresse surtout à l’aspect dramatique que peut apporter la baignoire :

Le truand Tuco (Eli Wallach), confortablement installé dans un hôtel, se fait apporter un bassin dans sa chambre pour se laver.

Un tueur le menace, convaincu que sa cible, nue dans l’eau savonneuse, est sans défense.

Mais le méfiant Tuco ne quitte jamais son colt, même dans l’eau, et peut ainsi dégommer son adversaire.

Dans « L’Homme qui n’a pas d’étoile » (1955) de King Vidor, le curieux cow-boy Demsey (Kirk Douglas) est fasciné par l’idée que la nouvelle propriétaire du ranch où il travaille, s’est payée le luxe d’une salle de bain individuelle (!) et attend la première occasion pour y jeter un coup d’œil …

… Il tombe sur sa patronne, qui, peu farouche, lui demande de l’attendre une minute dans sa chambre.

Le regard de Demsey sur le grand lit en dit long sur ce que le spectateur ne verra pas par la suite.

Rares sont les films où les héros de Sam Peckinpah, auteur controversé de westerns crépusculaires et violantes, trouvent un véritable chez-soi. Dans « Un nommé Cable Hogue » (1970), film atypique et sous-estimé, le cow-boy du titre (Jason Roberts) construit un relais de poste en plein désert d’Arizona, après être tombé par hasard sur une source d’eau.

Ce oasis isolé et désolé permet a sa copine Hildy (Stella Stevens) de prendre le bain en plein jour sans risquer d’être dérangée.


Sauf, le jour où la diligence arrive avec trois heures d’avance !

Dans une approche plus directe, plus comique et – finalement – aussi plus torride (pour un western), Hogan (Clint Eastwood) le cow-boy taciturne, se jette littéralement dans l’eau et sur sa bien-aimée, la malicieuse et pas si prude sœur Sara (Shirley MacLaine) à la fin de « Sierra Torride » de Don Siegel.

(à suivre)
ONE WEEK (La maison démontable) 1920 Buster Keaton
BARRY LYNDON 1976 Stanley Kubrick
IL GATTOPARDO (Le Guépard) 1963 Lucchino Visconti
SIGN OF THE CROSS (Le signe de la croix) 1932 Cecil B. DeMille
CLEOPATRA (Cléopâtre) 1963 Joseph L. Mankiewicz
FORTY GUNS (Quarante Tueurs) 1957 Sam Fuller
IL BUONO, IL BRUTTO, IL CATTIVO (Le Bon, la brute et le truant) 1966 Sergio Leone
MAN WITHOUT A STAR (L’homme qui n’a pas d’étoile) 1955 King Vidor
THE BALLAD OF CABLE HOGUE (Un nommé Cable Hogue) 1970 Sam Peckinpah
TWO MULES FOR SISTER SARA (Sierra Torride) 1970 Don Siegel
Une réflexion sur “Avant la salle de bain”