Lubricité et frayeurs dans la villa Ennis

chapitre 1 (1933 – 1959)

FEMALE 1933 Michael Curtiz

HOUSE ON HAUNTED HILL (La nuit de tous les mystères) 1959 William Castle

Frank Lloyd Wright construit en 1924 sur les hauteurs de Los Angeles1 une curieuse villa pour Charles et Marbel Ennis.

S’inspirant des temples Maya à Uxmal, l’ensemble, constitué de plusieurs blocs monolithiques, est étonnamment monumental par rapport à ses autres projets de maisons. Wright expérimente ici le nouveau matériau qu’est le béton pour le détourner en motif d’ornement à reliefs.

Plus de 27 000 blocs en béton préfabriqué d’une largeur de 40 x 40 cm et 7,6 cm de profondeur sont répétés à l’infini sur l’ensemble des façades extérieures et même sur une grande partie des murs intérieurs. C’est sans doute ce motif d’ornement si particulier qui donne à cette villa un air étrange… et qui fait que ce bâtiment est apparu comme décor dans une vingtaine de films et de séries télé, entre 1933 et 2001.

« Female » est un des premiers films qui montre la villa Ennis dans un long métrage. La parenté du film n’est pas très claire : malade, le réalisateur William Dieterle est remplacé au pied levé par William Wellmann, qui doit lui-même l’abandonner puisque déjà engagé sur un autre projet. C’est finalement Michael Curtiz, futur réalisateur de « Casablanca » (1942), qui le termine (et qui sera le seul crédité au générique). La même année, en 1933, il tourne également l’emblématique et très diffèrent « Masques de Cire ».

Le film ne souffre pas du fait d’avoir eu trois pères et reste une comédie pétillante, très irrévérencieuse, en phase avec les films désormais appelés pré-code, qui précèdent les restrictions sévères du code Hays, appliqué à Hollywood de 1934 à 1966, pour éviter le débordement des bonnes mœurs : sexe et violence.

La propriétaire de la villa Ennis est Alison Drake (Ruth Chatterton), qui dirige son entreprise d’automobiles d’une main de fer, entourée d’hommes obséquieux et même temps envieux de son pouvoir. Entre réunions et décisions importantes, elle trouve le temps de repérer de beaux spécimens parmi ses employés, …

… qu’elle invite le soir dans sa villa, pour d’abord faire plus ample connaissance autour de la piscine, puis dans son lit !

La villa Ennis doit clairement montrer le pouvoir de sa propriétaire et souligner son train de vie quelque peu excentrique.

Alison Drake joue de ses atouts féminins et prend un malin plaisir à se comporter comme les hommes : « J’ai décidé de suivre la même route que les hommes. D’être aussi sexiste qu’eux ! »

La villa (dont on aperçoit sur l’image de gauche le nom des vrais propriétaires Ennis au-dessus du porche) lui ressemble : une forteresse mystérieuse, fermée et inaccessible côté rue …

… et un endroit exotique, surprenant et d’une richesse inattendue côté jardin. C’est ici qu’Alison célèbre des fêtes insouciantes et somptueuses (une corvée selon elle). L’étonnant exotisme de la villa Ennis donne plutôt l’impression d’un décor hollywoodien fantaisiste, renforcé par la piscine « art déco », construite pour les besoins du film.

Cette impression est soulignée par les intérieurs de la demeure, entièrement imaginés et construits en studio, avec cette entrée pour le moins impressionnante, dominée par un escalier suspendu et ponctué d’un orgue (!) mural – aussi magnifique que magique.

Les dévergondages d’Alison Drake en prennent un coup quand une de ses conquêtes résiste à sa robe très échancrée et n’a aucune envie de se retrouver dans son lit. Blessée dans son amour-propre et par-dessus tout vraiment amoureuse de ce jeune ingénieur, elle est contrainte de changer de stratégie pour le reconquérir. Le libertinage et le cynisme font alors place à la comédie romantique pour nous conduire à une fin heureuse. Cette concession aux conventions hollywoodiennes ne gâche en aucun cas la qualité de ce film, aussi léger qu’impertinent.


« La nuit des tous les mystères » nous montre un tout autre aspect de la même villa :

L’avertissement inaugural d’Elisha Cook Jr. nous plonge tout de suite dans l’ambiance de cette maison de la colline hantée (traduction du titre original) …

… qui est, sans surprise, l’impressionnante villa Ennis de Frank Lloyd Wright !

Cinq personnes ont accepté le pari de passer une nuit entière dans cette demeure réputée hantée, en compagnie de l’excentrique millionnaire Frédéric Loren (joué avec malice par Vincent Price) et de sa femme Annabelle (Carol Ohmart), qui ont organisé l’évènement pour « s’amuser ». Si les invités réussissent à rester en vie jusqu’à l’aube, ils seront récompensés d’une somme de 10 000 $ chacun.

Le metteur en scène William Castle filme abondamment les extérieurs quelque peu inquiétants de la villa de Wright, où l’on reconnaît, entre autres, la grande terrasse surplombant Los Angeles by night – une fois de plus caractérisée par les éclairages des rues qui se prolongent à l’infini.

Par contre, Castle remplace les intérieurs par un décor vieillot, créé en studio de toutes pièces et qui n’a rien à voir avec la réalité des lieux.

Sauf dans la cave (!), où l’on retrouve les fameux panneaux en béton caractéristiques de la maison. Reconstitution méticuleuse d’un chef décorateur en studio ou bien s’agit-il véritablement des caves de la villa Ennis ? Le mystère reste entier …

Ce film d’horreur assez sage (par rapport au développement gore du genre à partir des années 70) ne manque pas d’effets grand-guignol – typiques de la mise en scène de Castle – pour mettre le spectateur  mal à l’aise, sans pour autant vraiment exploiter le potentiel de la villa Ennis, pourtant à la disposition du metteur en scène.

Par la suite, beaucoup d’autres films seront tournés dans cette étonnante villa et même à l’intérieur !

… à suivre.

*plus précisément au 2655 Glendower Ave, Los Angeles, CA 90027.

FEMALE 1933 Michael Curtiz

HOUSE ON HAUNTED HILL (La nuit de tous les mystères) 1959 William Castle

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